Une décision injuste pour nos lecteurs et nos donateurs

Au lendemain de la publication du rapport du Groupe indépendant d’experts sur le journalisme et la presse écrite, nous interpellons le ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme, Pablo Rodriguez. Comment peut-il accepter que les fondations et les organismes à but non lucratif (OBNL), tels que Les Amis du Devoir, soient écartés des mesures d’aide fiscale ?
À la lumière des explications fournies par les fonctionnaires du ministère des Finances, et en faisant une lecture attentive du cadre législatif proposé par le gouvernement Trudeau, le groupe d’experts en est arrivé à la conclusion que les fondations de soutien au journalisme sont exclues de la loi adoptée à toute vapeur avant la fin de la session parlementaire à Ottawa.
Pour l’instant, seuls les médias à but non lucratif qui produisent de l’information originale pourront fournir à leurs donateurs des reçus à des fins fiscales. Les gagnants à cette loterie inique se comptent sur les doigts d’une main dans tout le Canada.
Le groupe recommande de modifier la loi pour permettre aux fondations de bienfaisance qui appuient le journalisme d’être reconnues comme donataires admissibles. Nous ne saurions si bien dire.
Un modèle éprouvé
Le Devoir a pratiquement inventé la philanthropie dans les médias écrits québécois. La première société des Amis du Devoir a vu le jour en 1916. Dans sa version actuelle, la société des Amis du Devoir est un organisme à but non lucratif régi par une charte fédérale. Son principal objectif est de mener des campagnes de financement pour Le Devoir, une entreprise à but lucratif qui publie nos éditions numériques et imprimées.
Notre gouvernance repose sur un troisième pilier, et non le moindre : la Fiducie Le Devoir. Celle-ci détient le contrôle du Devoir et fait office de chien de garde afin que Le Devoir demeure pleinement indépendant et fidèle à sa mission d’origine, inscrite dans la poursuite du bien commun.
Au cours des quatre dernières années, Les Amis du Devoir ont amassé 1,8 million de dollars auprès de donateurs individuels et d’entreprises. Cet apport a permis d’accélérer la transformation numérique du Devoir et, grâce à un soutien récurrent de Transat, d’envoyer des journalistes en reportage à l’étranger. Il a aussi permis, il est vrai, de dégager un profit nominal au cours des deux derniers exercices, mais celui-ci se transformera immanquablement en perte si l’ajustement législatif souhaité n’est pas adopté rapidement.
Selon nos estimations, la reconnaissance des Amis du Devoir comme organisme de charité nous permettrait de récolter entre 750 000 $ et un million par année sur une base récurrente, comparativement à la moyenne actuelle de 500 000 $ par année. Des donateurs attendent cette reconnaissance pour faire des dons de plus de 500 000 $ dans les cinq prochaines années.
Des conséquences majeures
L’exclusion des Amis du Devoir nuira à la stabilité de l’OBNL et à la pérennité du Devoir comme média indépendant. L’enjeu dépasse les frontières de notre univers. Comme le fait remarquer le rapport du groupe d’experts, les fondations de soutien au journalisme « pourraient jouer un rôle important dans le financement futur du journalisme ».
S’il est une chose dont les médias ont besoin, c’est bien de nouvelles sources de revenus pour compenser la perte des revenus publicitaires numériques au profit des GAFA (l’acronyme pour désigner Google, Amazon, Facebook et Apple) et l’érosion constante des revenus de l’imprimé. D’autres médias, qui possèdent un modèle d’affaires semblable au nôtre, pourraient bénéficier d’une reconnaissance des fondations de soutien au journalisme à des fins de charité.
Ce cul-de-sac n’est pas la faute du groupe d’experts. Celui-ci a bien fait son travail. Il propose des critères simples et éprouvés pour déterminer l’admissibilité des médias au crédit d’impôt de 25 % sur la masse salariale de la rédaction. Cette mesure et le crédit d’impôt aux abonnements numériques seront bénéfiques au Devoir et à d’autres médias.
Nous ne comprenons pas pourquoi Les Amis du Devoir sont mis sur une voie de garage. C’est injuste pour nos lecteurs et pour nos donateurs. C’est aussi inquiétant pour l’avenir de tous les médias qui cherchent à se réinventer dans une période de grande incertitude.