Pourquoi encore remettre en doute les missions «Apollo»?

Des centaines de millions de téléspectateurs à travers le monde ont suivi la mission en direct, sans compter des dizaines de milliers de témoins rassemblés sur les plages de la Floride pour assister au décollage de l’immense fusée «Saturn V» qui allait emmener les astronautes vers la Lune.
Photo: Nasa Agence France-Presse Des centaines de millions de téléspectateurs à travers le monde ont suivi la mission en direct, sans compter des dizaines de milliers de témoins rassemblés sur les plages de la Floride pour assister au décollage de l’immense fusée «Saturn V» qui allait emmener les astronautes vers la Lune.

Nous commémorons ces jours-ci l’un des plus impressionnants exploits technologiques de l’histoire de l’humanité : le 20 juillet 1969, il y a 50 ans cette année, Neil Armstrong et Edwin « Buzz » Aldrin faisaient leurs premiers pas sur la surface d’un autre monde. Pour en arriver là, il aura fallu le travail acharné de plus de 400 000 personnes, scientifiques, ingénieurs, techniciens, sans compter un budget de près de 30 milliards de dollars, une somme colossale pour l’époque. Des centaines de millions de téléspectateurs à travers le monde ont suivi la mission en direct, sans compter des dizaines de milliers de témoins rassemblés sur les plages de la Floride pour assister au décollage de l’immense fusée Saturn V qui allait emmener les astronautes vers la Lune.

Pourtant, au moment où nous célébrons les exploits des astronautes de la mission Apollo 11, un nombre croissant de personnes dans le monde doutent que des hommes aient véritablement marché sur la Lune entre 1969 et 1972 et croient plutôt qu’il s’agit d’un vaste canular ourdi par la NASA avec l’aval du gouvernement américain. On prétend que le programme spatial étasunien, très en retard sur le programme soviétique au début des années 1960, n’aurait jamais pu rattraper, ni même dépasser, son concurrent en à peine une décennie, surtout à la lumière des nombreux ratés et accidents qui ont marqué son développement, en particulier l’incendie d’Apollo 1 qui a coûté la vie à trois astronautes.

On accuse ainsi la NASA d’avoir « fabriqué » les images, soi-disant retransmises depuis la Lune, en filmant des astronautes dans un studio secret situé quelque part au Nevada. On en veut pour preuve, entre autres, la direction des ombres projetées sur le sol lunaire, le drapeau américain faseillant, même en l’absence d’atmosphère, ou encore l’absence d’étoiles dans le ciel de la Lune sur les photos prises par les astronautes. Il va sans dire que chacune des objections soulevées par les conspirationnistes lunaires a été réfutée en bonne et due forme par les gens qui s’y connaissent. Par exemple, on ne voit pas d’étoiles sur les photos pour la simple et bonne raison qu’il faisait jour sur la Lune à ce moment-là et que la lumière solaire, réfléchie par le sol lunaire, voilait celle des étoiles (sans compter que, pour capter la faible lueur des étoiles sur une pellicule photo de 64 ISO, comme celle utilisée par les astronautes, il aurait fallu des temps de pose de l’ordre de 10 à 30 secondes).

Déni de la réalité

 

On peut se demander ce qui pousse tant de gens à remettre en question un événement historique aussi bien documenté que la mission Apollo 11 ainsi que toutes celles qui ont suivi. Une telle fabrication aurait demandé la collaboration — et le silence absolu pendant des décennies — de centaines de milliers de personnes et exigé des techniques de trucage et de traitement d’images auxquelles même le grand Stanley Kubrick, réalisateur du film-culte 2001 : A Space Odyssey (1968), n’osait pas rêver à l’époque. Quand on sait que les Russes, pourtant grands rivaux des Américains dans la course à l’espace, n’ont eux-mêmes jamais remis en question la véracité des alunissages américains (ce qu’ils auraient eu tout avantage à faire), la méfiance des conspirationnistes est d’autant plus difficile à comprendre. Il existe tout de même quelques pistes pour expliquer l’origine et la persistance de ce déni de la réalité.

Il faut tout d’abord se rappeler le contexte social dans lequel se déroulent les missions Apollo. Les États-Unis sont alors embourbés dans la guerre du Vietnam et, en 1971, le public étasunien va découvrir, grâce aux célèbres Pentagon Papers, que leur gouvernement leur a menti depuis le début concernant les chances de succès de cette coûteuse campagne militaire. L’affaire Watergate, qui entraînera la démission de Richard Nixon en 1974, achève de miner la confiance de plusieurs Américains envers leurs institutions. C’est dans ce contexte qu’en 1976, Bill Kaysing, un obscur rédacteur technique employé du fabricant de moteurs de fusée Rocketdyne, publie à compte d’auteur un ouvrage intitulé We Never Went to the Moon : America’s Thirty Billion Dollar Swindle, dans lequel il prétend qu’aucun homme n’a jamais marché sur la Lune.

Au début, les théories de Kaysing semblent tellement farfelues que la NASA ne juge pas bon d’y répliquer, sinon en publiant une fiche d’information en 1977 qui réfute chacune des objections soulevées par Kaysing dans son ouvrage. Mais l’idée conspirationniste va recevoir une forte impulsion en 2001 lorsque le réseau de télévision étasunien Fox va diffuser un documentaire intitulé Did We Land on the Moon ?, où seront reprises la plupart des théories développées par Kaysing.

La NASA rééditera sa fiche d’information la veille de la diffusion du documentaire, mais ce sera trop peu trop tard : 2001, rappelons-le, c’est aussi l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, qui offrent une formidable caisse de résonance et une vaste agora où se rejoignent de plus en plus de gens convaincus par les idées conspirationnistes. La théorie selon laquelle les missions Apollo ne se sont jamais posées sur la Lune est alors bien vivante, et semble même prendre de l’ampleur à mesure que l’événement s’enfonce dans l’histoire et que ses principaux acteurs nous quittent.

Missions redondantes

 

Il se peut également que la persistance du mythe soit attribuable en partie au fait que la NASA est allée sur la Lune entre 1969 et 1972 pour les mauvaises raisons… En effet, de nombreux conspirationnistes trouvent étrange que l’on ait mis fin abruptement à l’exploration de la Lune après la mission Apollo 17 (trois autres missions Apollo avaient été prévues après cela, mais elles ont toutes été annulées dès 1970). Ne nous disait-on pas à l’époque que les missions Apollo n’étaient que le prélude à l’établissement d’une base scientifique sur la Lune et à une occupation permanente de notre satellite ? Peut-être que la brièveté des missions Apollo et la fin abrupte de l’exploration lunaire étaient la preuve que des astronautes n’étaient tout simplement jamais allés sur la Lune…

La réalité est plus pragmatique et montre bien que les raisons évoquées publiquement par la NASA pour justifier l’exploration lunaire cachaient en fait la véritable motivation du gouvernement américain, qui était de développer un programme de missiles balistiques intercontinentaux capables de frapper des cibles soviétiques mieux que ce que les Russes seraient capables de faire en visant des cibles étasuniennes. Après tout, une fusée lunaire n’est rien d’autre qu’un gros missile dont la charge nucléaire a été remplacée par trois astronautes. Une fois que les Américains eurent prouvé qu’ils dominaient l’espace (et avaient gagné la course à la plus grosse fusée), les missions lunaires devenaient redondantes et superflues (et surtout trop chères). L’exploration de la Lune, le développement des technologies spatiales et la science qui en a découlé ne sont que d’heureuses retombées collatérales et n’ont jamais constitué la principale motivation pour la course à la Lune.

La théorie conspirationniste selon laquelle des humains n’ont jamais foulé le sol lunaire est à ranger aux côtés d’autres lubies plus ou moins inoffensives, comme la notion que la Terre est plate ou l’idée voulant que des extraterrestres nous visitent régulièrement à bord de leurs soucoupes volantes. Il en va tout autrement d’autres théories conspirationnistes, comme les campagnes antivaccination, qui reposent sur des bases tout aussi peu solides mais qui ont des conséquences autrement plus graves.

Ces croyances illustrent bien le manquede confiance envers les autorités, les spécialistes et les scientifiques, qui semble de plus en plus fréquent dans nos sociétés modernes et hyperconnectées où tout un chacun peut exprimer son opinion sans filtre et où il devient de plus en plus difficile pour le commun des mortels de séparer le bon grain de l’ivraie. Il s’agit d’un problème pressant auquel la communauté scientifique, mais aussi les autorités publiques, devra s’attaquer sans tarder.

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