Pour une réforme du droit de la famille fondée sur les réalités actuelles

«Plus de la moitié des conjoints de fait croient, à tort, bénéficier en tout ou en partie des mêmes droits que les gens mariés», soulignent les auteures.
Photo: iStock «Plus de la moitié des conjoints de fait croient, à tort, bénéficier en tout ou en partie des mêmes droits que les gens mariés», soulignent les auteures.

Nous saluons l’initiative de la ministre de la Justice du Québec d’entreprendre une réforme du droit de la famille. Les propositions soumises pour consultation sont issues du volumineux rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille, déposé en 2015. Or, des données récentes, donc inexistantes au moment de l’affaire Éric c. Lola et des travaux du Comité, viennent ébranler plusieurs des prémisses sur lesquelles s’est appuyé le Comité.

La prépondérance accordée par le Comité à la liberté contractuelle s’appuie notamment sur l’idée que l’égalité économique entre hommes et femmes s’est tellement améliorée que les conjoints seraient maintenant en mesure de négocier librement leurs relations familiales. Or, une analyse nuancée des données de Statistique Canada établit clairement que, si 30 % des Québécoises gagnent au moins autant que leur conjoint, les femmes avec des enfants mineurs sont seulement 13 % à gagner plus de 65 % du revenu familial.

La sensibilisation peu efficace

 

La liberté contractuelle implique également que les conjoints de fait connaissent leurs droits et obligations. À défaut, on suppose qu’une vaste campagne de sensibilisation pourrait y remédier. Or, en 2015, nous avons sondé 3250 Québécoises et Québécois de 25 à 50 ans vivant en couple, avec ou sans enfant. Les résultats, représentatifs de la population québécoise, montrent clairement que l’union de fait n’est pas un choix éclairé pour la majorité d’entre eux, pas plus qu’elle n’est un choix libre pour le quart d’entre eux.

En effet, plus de la moitié des conjoints de fait croient, à tort, bénéficier en tout ou en partie des mêmes droits que les gens mariés. La littérature scientifique montre également que les campagnes d’information menées ailleurs n’ont pas donné les résultats attendus. Si elles améliorent, mais d’une manière très modeste, la connaissance des couples quant à leurs droits, elles ajoutent aussi parfois à la confusion. En effet, le nombre de répondants se disant incapables de répondre à des questions juridiques simples augmente après ces campagnes de sensibilisation.

La logique d’adhésion volontaire des conjoints de fait à la protection de la loi sous-tend que ces derniers peuvent faire des contrats de vie commune. Or, moins de 8 % de ceux que nous avons sondés ont dit avoir fait de tels contrats et seulement 35 % auraient fait un testament. Ces données sont cohérentes avec le fait que la majorité d’entre eux pensent avoir les mêmes droits que les époux.

Une différence importante entre les époux et les conjoints de fait, quant à la manière de gérer leurs avoirs, pourrait justifier de les traiter différemment sur le plan légal. Toutefois, notre étude montre, au contraire, que, s’il existe des différences entre les époux et les couples en union de fait, ces derniers gèrent leurs avoirs très majoritairement de manière solidaire, comme le font les époux. C’est d’abord la durée de la vie commune puis la naissance d’un enfant qui conduisent les couples à gérer solidairement leurs avoirs et non pas leur état civil.

À notre avis, le Comité a accordé une trop grande importance à la liberté contractuelle au détriment de la protection des individus les plus vulnérables. Rappelons que la Loi fédérale sur le divorce, qui est de nature compensatoire, continuera d’offrir aux époux une protection alimentaire beaucoup plus vaste que la prestation parentale compensatoire proposée. Sans parler des difficultés de mise en oeuvre et d’application que cette dernière laisse présager.

Risque de contestation judiciaire

 

Le maintien d’une différence de traitement relativement importante entre les conjoints de fait et les époux entraîne aussi le risque d’une nouvelle contestation judiciaire. Rappelons que, dans l’affaire Éric c. Lola, quatre des cinq juges majoritaires se sont appuyés sur le fait que la loi québécoise ne reproduit pas un préjugé à l’égard des conjoints de fait pour conclure qu’elle ne portait pas atteinte au droit à l’égalité. Or, la Cour suprême a modifié depuis son cadre d’analyse, ce qui permet de croire qu’elle rendrait vraisemblablement une autre décision aujourd’hui. En effet, la démonstration que la loi contestée reproduit un stéréotype ou un préjugé pour être jugée inconstitutionnelle n’est plus à faire. Enfin, un autre argument invoqué par les juges majoritaires était qu’aucune étude à l’époque n’avait réellement démontré que l’union libre n’est pas un choix libre et éclairé. Or, ces données existent désormais.

Il serait sans doute plus simple, plus efficace et plus équitable d’étendre la protection légale accordée aux époux aux conjoints de fait avec enfant tout en aménageant le droit actuel pour les couples sans enfant. Nous croyons que la société québécoise bénéficierait d’une réforme du droit de la famille fondée sur des constats plutôt que sur des opinions, limitant ainsi les injustices et les inégalités tout comme les possibilités de contestation judiciaire.

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