Les enseignements des Raptors de Toronto

Les fameux partisans de Jurassic Park qui se réunissent à l’extérieur de l’aréna où jouent les Raptors, soir après soir, symbolisent l’esprit d’abnégation pour leur équipe.
Photo: tomTom Szczerbowski / Getty Images / AFP Les fameux partisans de Jurassic Park qui se réunissent à l’extérieur de l’aréna où jouent les Raptors, soir après soir, symbolisent l’esprit d’abnégation pour leur équipe.

Pour un fan de basketball, le 3 novembre 1995 était une date historique. Cette année-là, les Raptors de Toronto et les Grizzlies de Vancouver entraient dans la NBA (National Basketball Association) après l’aventure des Huskies de Toronto dans les années 1940. Alors jeune étudiant à l’Université du Burundi, j’ai rapporté cet épisode canadien dans l’un des sports les plus populaires au monde dans ma toute première chronique journalistique à la radio CCIB.FM+. Je dis souvent à mes étudiants en journalisme que le bénévolat mène à tout à condition d’en faire. Cette chronique allait me valoir une collaboration d’abord bénévole, puis un contrat régulier avec cette radio où j’ai alors suivi le parcours remarquable des Raptors de Toronto avec les premières vedettes de cette époque, comme Damon Stoudamire, et par la suite Vince Carter et Tracy McGrady.

L’arrivée des Raptors dans les séries finales de la NBA en 2019 constitue une première spectaculaire pour la franchise et pour le sport canadien. Sous-estimés, les Raptors ont surpris toute la planète en séries éliminatoires et en finales contre l’équipe dominante de ces dernières années, les Warriors de Golden State. Que Toronto gagne le titre ou pas, cet événement est bâti sur plusieurs symboles qui contribuent à ce magnifique exploit et qui offrent d’intéressants enseignements sur le sport comme dépassement personnel, comme lien social et comme intérêt public.

Courage

 

Le premier enseignement est celui du courage, ingrédient nécessaire pour réussir le changement social. Après des années de déception dans les premières rondes de séries, le président de l’équipe, Masai Ujiri, a patiemment construit une nouvelle équipe autour de Nick Nurse, un nouvel entraîneur. Il fallait du courage pour tout remettre à plat et repartir sur de nouvelles bases. La décision de Masai Ujiri d’échanger la vedette DeMar De Rozan pour acquérir le joueur étoile Kawhi Leonard a été durement critiquée. Cependant, c’est ce même Leonard qui est aujourd’hui la force tranquille mais locomotive redoutable derrière le succès collectif des Raptors. Certes, provoquer le changement est toujours un pari risqué, mais une fois qu’on a déterminé quels sont les problèmes, dans toute institution, il faut agir.

Patience

 

Le deuxième enseignement est celui de la patience. Celle de l’autre joueur étoile, Kyle Lowry, qui a connu les hauts et les bas de l’équipe depuis plusieurs années et qui savoure aujourd’hui un moment historique. Le titre serait pour lui plus que la cerise sur le gâteau, mais un accomplissement personnel et un dépassement de soi. La patience aussi de la recrue Pascal Siakam et des autres jeunes qui excellent devant les yeux du monde. Le Camerounais incarne l’espoir du rêve qui se réalise après une longue quête, lui qui a suivi un chemin difficile avant d’atterrir en NBA et que la mort de son père a dévasté. Son éclosion sur la scène mondiale est un bel exemple pour la jeunesse africaine et canadienne. Son parcours nous apprend qu’il ne s’agit pas juste de rêver, mais qu’il faut travailler fort et être patient pour atteindre ses rêves. Enfin, la patience de la ville et des partisans qui attendent depuis 24 ans une consécration de haut niveau après des années de fidélité. La Ville Reine mérite une couronne.

Engouement

 

Le troisième enseignement est celui de l’engouement. Ce sont d’abord les fameux partisans de Jurassic Park qui se réunissent à l’extérieur de l’aréna Scotiabank, où jouent les Raptors, soir après soir, bonne ou mauvaise météo, qui symbolisent l’esprit d’abnégation pour leur équipe. Avec les finales, l’effervescence a gagné plusieurs autres villes qui ont répété l’expérience « Jurassic Park » jusqu’à Montréal. Avec leur slogan « We the North », les Raptors ont réussi un cri de ralliement à tout le pays avec un effet mobilisateur et créateur de lien social. Cet effet est réconfortant en l’absence d’équipes canadiennes dans les finales de la Ligue nationale de hockey. On peut penser que cet engouement est passager, avec raison, car il s’agit des finales, mais le basketball a un large public insoupçonné.

Un jeune disait récemment à un journaliste de Radio-Canada qui couvrait l’aventure des Raptors : « C’est comme si le Canadien était en finales. » Cette assertion est lourde de sens au pays du hockey. En temps normal, le basketball existe dans les cours d’école et dans les ligues locales, mais n’existe pas dans l’espace médiatique. Au-delà de l’actualité, l’engouement autour de l’exploit des Raptors démontre un intérêt public pour ce sport mondial mais qui a été longtemps ignoré par les médias au Québec et dans le reste du pays. On entend souvent que les jeunes manquent de modèles, mais la NBA est une machine à modèles, canadiens et autres.

Le soccer a connu le même sort avant que l’arrivée des équipes dans les grandes villes comme L’Impact de Montréal attirent une plus attention médiatique. Seulement, les jeunes Québécois et Canadiens avaient commencé à jouer au soccer depuis déjà belle lurette. Pour les médias québécois, surtout de service public, une introspection sur la couverture sportive est nécessaire pour refléter la diversité des publics et l’intérêt réel du public envers d’autres sports au-delà du hockey. Pour un fan du Canadien de Montréal comme moi, heureusement qu’il y a la finale historique des Raptors de Toronto pour ne pas subir les affres des Bruins de Boston sur les écrans de télévision.

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