Le désastre Airbnb

Selon les plus récentes données de la SCHL, le taux d’inoccupation se situait à 1,9% dans la région montréalaise en octobre dernier.
Photo: Catherine Legault Le Devoir Selon les plus récentes données de la SCHL, le taux d’inoccupation se situait à 1,9% dans la région montréalaise en octobre dernier.

Madame la Ministre du Tourisme, Caroline Proulx, vous avez récemment fait connaître vos intentions de mieux réglementer les plateformes de location de logements à des fins d’hébergement touristique. Airbnb est la plus connue, mais il y en a plusieurs autres. Nous croyons qu’il est urgent de serrer la vis à ces plateformes afin de protéger le parc de logements locatifs et limiter la spéculation immobilière.

Nous sommes actuellement confrontés à une sévère pénurie de logements dans plusieurs régions du Québec. Or, des milliers de logements sont actuellement retirés du marché locatif traditionnel pour être loués à des touristes à des fins commerciales. Certains propriétaires évincent même des locataires dans le but de transformer leur logement en hôtel Airbnb pour ainsi augmenter rapidement leurs profits. Non seulement ce phénomène vient accentuer la pénurie de logements, mais il participe à la hausse rapide du prix des loyers environnants et cause de nombreux troubles de voisinage.

De plus en plus de locataires se demandent très sincèrement si leur ville ou leur quartier leur appartient encore. Sommes-nous rendus au point où les projets d’expansion de l’industrie touristique ont préséance sur le droit des citoyens à demeurer dans leur ville, contribuant ainsi à défigurer les quartiers, à les rendre inabordables et à les vider de leurs habitants ? Le droit à la ville serait-il en train de devenir un luxe que seule une poignée d’individus au portefeuille bien garni peuvent se payer ?

Nous croyons pour notre part que les villes et quartiers appartiennent d’abord et avant tout aux personnes qui y résident. Ayant un statut plus vulnérable, les locataires doivent être plus protégés contre cette marchandisation à outrance du logement. Puisque nous considérons le logement comme un droit fondamental qu’il faut garantir et protéger, il est primordial d’agir contre les Airbnb de ce monde.

Disons-le bien franchement : Airbnb n’est ni une économie collaborative ni une économie de partage. La grande majorité des hôtes Airbnb ne le font pas pour arrondir leur fin de mois, mais au contraire pour maximiser leurs profits. Selon une étude menée par le professeur d’urbanisme à l’Université McGill David Wachsmuth, la grande majorité (69 %) de l’offre Airbnb à Montréal est constituée de logements entiers loués une grande partie de l’année. De plus, la proportion de superlocateurs (hôtes qui gèrent plusieurs offres) augmente constamment. Contrairement à l’image qu’elle veut se donner d’elle-même, Airbnb est une véritable business. Mais une business aux conséquences désastreuses.

Sur le Plateau Mont-Royal, à Montréal, on estime qu’environ 5 % du parc de logements est réservé aux touristes. Or, selon les plus récentes données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), le taux d’inoccupation dans le secteur était de 1,5 %, et de seulement 0,3 % pour les grands logements (3 chambres et plus). La même histoire se répète dans d’autres quartiers montréalais, villes canadiennes ainsi qu’ailleurs dans le monde. Alors que de nombreuses personnes sont désespérément à la recherche de logement, des milliers de logements se voient retirés du parc locatif pour être réservés à des touristes fortunés, très souvent en contravention avec les règlements de zonage municipaux existants.

Madame la Ministre, vous avez le devoir de remédier à la situation. Nous estimons pour notre part que la location de logements à des fins d’hébergement touristique devrait être tout simplement interdite. À défaut d’une telle interdiction, il devient cependant impératif de limiter la location touristique à la seule résidence principale d’une personne physique (et non pas aux compagnies), tout en limitant le nombre de jours permis de location par année à une période raisonnable (la limite la plus faible étant la meilleure). Les hôtes devraient par ailleurs être tenus d’obtenir un numéro d’enregistrement délivré par les villes pour pouvoir publier une annonce de location. Ceci permettrait ainsi aux villes de s’assurer que l’offre de logements offerts en location respecte le zonage. Enfin, Revenu Québec, chargé depuis l’an dernier de faire respecter la loi, devrait passer en deuxième vitesse, c’est-à-dire cesser de donner des avertissements et dresser des contraventions envers les exploitants délinquants. Cela permettrait d’éliminer une grande partie de l’offre et d’ainsi récupérer des centaines, voire des milliers de logements.

Finalement, nous aimerions soulever un aspect rarement évoqué dans le débat : tandis qu’Airbnb prétend que ses services permettent d’arrondir les fins de mois de citoyens dans le besoin, il est pratiquement impossible pour les locataires de louer leur logement aux touristes. En effet, non seulement les propriétaires l’interdisent d’emblée, mais le faire sans leur autorisation mène presque systématiquement à la résiliation du bail si l’on se fie à la jurisprudence récente de la Régie du logement. Au final, le luxe de pouvoir arrondir ses fins de mois est réservé aux propriétaires, qui ont, en moyenne, des revenus deux fois plus élevés que ceux des locataires.

En conclusion, il est plus que temps d’agir contre la location de logements à des fins d’hébergement touristique et de prendre les mesures qui s’imposent afin que le parc de logements locatifs soit consacré prioritairement à l’objectif pour lequel il a été construit : loger convenablement les citoyens et citoyennes de nos villes et villages.

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