L’école en PPP?

Camil Bouchard a, cette semaine, produit deux textes d’opinion dans Le Devoir. Il y reprend, en l’élargissant, l’argumentaire développé par les promoteurs de la Société de développement Angus (SDA) et des « Ateliers éducatifs Angus » à un projet plus large : celui de la révision du statut et du financement des écoles privées au Québec.

Ce projet, présenté comme novateur, reprend pour l’essentiel ce qui a déjà été discuté et contesté l’an dernier au moment où la SDA a déposé son projet « d’école autonome » (une école financée publiquement, mais dont la gestion serait privée). Beaucoup d’acteurs du monde de l’éducation s’étaient alors mobilisés, à juste titre, pour dénoncer une dérive : nous serions passés d’un réseau public, dont les entités ne sont pas isolées mais solidaires, à un réseau hybride, où certaines entités pourraient tirer profit des avantages de la mise en commun des ressources sans en vivre les inconvénients. Nous aurions ainsi, à côté de l’école publique « ordinaire », des entités gérées comme des PME éducatives privées.

Plusieurs observateurs ont fait, l’an dernier, le parallèle entre ce modèle et celui des « écoles à charte » américaines. Certains y voient une forme de « nationalisation » de l’école privée, alors qu’il s’agit au contraire d’un appui à la décentralisation et à la gestion d’établissements publics par des organisations privées ; il s’agit donc non pas d’une nationalisation du privé, mais bien d’une délégation du public au privé, qui n’est pas sans rappeler le modèle des partenariats public privé, ou « PPP ».

Ces nouvelles « écoles autonomes », entièrement financées par l’État, continueront par exemple de gérer elles-mêmes l’entretien de leurs bâtiments. Elles ne feront pas la file comme toutes les écoles du réseau public en attendant qu’on trouve le financement (et la main-d’oeuvre) pour rénover leur gymnase ou leur cafétéria. Elles conserveront le privilège de la beauté des murs fraîchement repeints. Même chose pour le personnel qu’elles pourront embaucher directement en contournant toutes les règles qui régissent le processus d’embauche du personnel des commissions scolaires. Pratique en situation de pénurie, quand on peut attirer entre nos murs fraîchement repeints les jeunes profs dynamiques récemment sortis de nos universités et leur offrir des conditions matérielles assurément meilleures que celles qui prévalent au public. On ne voit pas le jour où ces écoles auront à subir la perte de leur cafétéria ou de leur bibliothèque en raison du manque d’espace, ou l’obligation d’accueillir des points de service parce qu’ailleurs on sera en débordement.

Comme les CPE

 

Le talon d’Achille de l’argumentaire développé par Camil Bouchard, c’est le fait qu’il entend plaquer le modèle de gouvernance des CPE sur celui des écoles, ce qui ne cadre pas tout à fait. L’école est obligatoire ; pas la fréquentation d’un CPE. L’école doit desservir toutes les populations, idéalement à proximité de la maison ; pas le CPE. L’école publique, pour des raisons évidentes d’économies d’échelle, met en commun de nombreuses ressources (humaines et matérielles) avec d’autres écoles, ce qu’on appelle une « commission scolaire » (ou un « centre de services partagés », dans le jargon de la CAQ) ; pas le CPE, qui n’a pas du tout la même taille et, partant, les mêmes enjeux de financement.

L’argumentaire, repris systématiquement par les tenants de « l’école autonome », ne tient pas la route et a l’allure d’une « fausse bonne idée ». Il a beau s’inspirer du fleuron que sont les CPE, il ne risque, en contexte néolibéral, que de servir à légitimer la déconstruction du réseau scolaire public. Bien sûr, l’école publique connaît son lot de problèmes, et on gagnerait à explorer des idées nouvelles, notamment celles qui valorisent davantage l’implication de la communauté et l’autonomie locale. Cela dit, en contexte néolibéral, ce genre de proposition risque davantage de nourrir la construction déjà amorcée d’une dynamique de « marché scolaire ».

En somme, malgré l’aura de « père des CPE » dont il jouit, l’auteur d’Un Québec fou de ses enfants ne rend pas service au système scolaire québécois en s’entêtant à chercher le moyen de le segmenter encore plus.

On a souvent décrié l’existence d’un système à trois vitesses au Québec. En veut-on vraiment une quatrième ?

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