Comment «aider» Haïti aujourd’hui?

«La tragique disproportion entre les ressources financières et humaines consacrées à des secours d’urgence et celles consacrées au développement durable des communautés est désastreuse», croient les auteurs.
Photo: Hector Retamal Agence France-Presse «La tragique disproportion entre les ressources financières et humaines consacrées à des secours d’urgence et celles consacrées au développement durable des communautés est désastreuse», croient les auteurs.

Il faut aller au-delà des seules réponses dictées par la nouvelle crise humanitaire en cours en sachant fort bien qu’il n’est pas évident qu’Haïti pourra s’en sortir. Il n’est pas certain que le type d’aide internationale que ce pays reçoit lui soit vraiment utile. Bien des gens en doutent et certains ont démissionné.

Trois constats s’imposent : premièrement, le pays n’a eu la tête hors de l’eau que grâce à la coopération internationale ; deuxièmement, le pays ne s’appartient pas, car 90 % de son financement provient de l’extérieur ; troisièmement, dans le pays des Amériques le plus mis à mal par des catastrophes naturelles récurrentes et des épisodes politiques particulièrement difficiles, les projets de sortie de crise et de développement se construisent sur le temps long.

Or la tragique disproportion entre les ressources financières et humaines consacrées à des secours d’urgence et celles consacrées au développement durable des communautés est désastreuse. C’est comme si le pays était condamné à réparer ses dégâts en allant d’un secours d’urgence à l’autre. Cependant, un certain nombre d’organisations répondent qu’il existe bel et bien des interventions de plus longue portée, celles qui appuient l’action collective de communautés travaillant à se doter d’organisations inscrites elles-mêmes dans la durée : des coopératives, des fédérations paysannes, des mutuelles d’épargne et de crédit, des associations de femmes, etc.

Cette partie de l’aide internationale du Québec transformée en solidarité avec des organisations haïtiennes existe depuis un bon moment, mais elle est trop faible de moyens et trop investie dans de petits projets fortement ancrés dans le seul développement social. Elle n’a pas encore les moyens de ses ambitions et accuse un certain retard par rapport à ses homologues européens. Un nouveau scénario est en construction, celui de miser sur des économies de proximité et une finance sociale fondée sur une épargne solidaire. Adossée au seul financement public (ou presque) pendant plusieurs décennies, cette coopération a subi un choc majeur sous la gouverne des conservateurs au début de la présente décennie. Cette coopération de proximité a été forcée de se redéployer autrement tant sur le plan de son autonomie financière que dans ses priorités d’intervention. Le scénario qui suit pourrait être mis à profit en Haïti.

La plupart des experts s’entendent pour dire que l’agriculture familiale de ce pays est un maillon stratégique. Cependant, ses communautés rurales sont privées d’activités agricoles suffisamment génératrices de revenus, d’accès à l’électricité à des prix raisonnables, de petites infrastructures économiques locales, d’accès à l’eau potable, etc., permettant de faire face à l’insécurité alimentaire et au changement climatique qui lui est associé. La mise à contribution d’une finance solidaire à la bonne hauteur et d’assises économiques locales adossées à un plan d’action pour une transition sociale et écologique font partie de l’équation d’avenir.

Finance solidaire

 

Plutôt que de miser uniquement sur le financement public, cette solidarité du Québec avec Haïti et d’autres pays du Sud est en train de se donner des outils financiers collectifs semblables à ceux que plusieurs mouvements sociaux d’ici se sont donnés au cours de leur histoire : fonds de travailleurs à l’initiative des syndicats ; coopératives d’épargne et de crédit et fonds destinés au développement des régions. Bref, une économie non capitaliste de marché, cheville ouvrière d’un développement économique lancé par les communautés elles-mêmes.

Début 2019, l’AQOCI ainsi que les fonds de travailleurs ont pris une décision hors de l’ordinaire en mettant en oeuvre un projet de Fonds québécois d’investissement solidaire consacré aux économies de proximité au Sud fondé sur des épargnes d’organisations québécoises. Ce fonds permettra notamment de soutenir des systèmes de prêts rotatifs en agriculture ; des prêts et garanties de prêts à des PME tels des ateliers de production de panneaux solaires pour l’électrification des villages, la commercialisation collective de produits agricoles et des coopératives de collecte des déchets.

Développement et écologie

 

Depuis la COP21, le développement économique, la question sociale et le défi écologique se télescopent dans une crise ouverte en 2007. Or Haïti est une des sociétés les plus vulnérables du monde à cet égard et sa variable écologique est le principal marqueur de sa situation.

Dans la foulée, la solidarité Nord-Sud du Québec est amenée à se diriger vers le développement d’une économie faite de filières plus écologiques — énergies renouvelables, agriculture écologiquement intensive, aménagement durable des forêts. Dans le combat contre la pauvreté, tel qu’il est mené par les institutions internationales en Haïti, apparaissent aujourd’hui […] de bien maigres solutions. Dans ce pays, l’aide humanitaire occupe beaucoup trop la première place. Elle ne panse que les dégâts. Une solidarité adossée au développement d’économies de proximité est une autre manière de faire désormais inscrite à l’agenda québécois. Une solidarité économique favorisant la sécurité alimentaire, l’accès au crédit, la lutte contre la précarité énergétique. C’est un choix politique : notre coopération avec Haïti sera-t-elle encore et surtout celle de pompiers de service ou plutôt celle d’architectes du développement ?

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