Le non-sens d’utiliser le gaz naturel comme énergie de transition au Québec

Au Québec, un effort collectif colossal doit être consenti pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Nos émissions annuelles en 2016 ont été d’à peine 10 mégatonnes (Mt) de moins que celles de 1990 (87 Mt). C’est donc un volume récurrent de réduction d’émissions de GES six fois plus important encore qu’il nous faut viser dès maintenant pour atteindre la cible de 17 Mt/année à l’horizon 2050. Le Québec accuse en effet un important retard dans la mise en oeuvre du redéploiement de ses approvisionnements énergétiques, un projet de société que la récente Politique énergétique 2030 du Québec (PEQ2030) qualifie pourtant de « nouveau pacte énergétique » capable « d’enclencher une réelle décarbonisation de l’économie québécoise ».
Or, la PEQ2030 donne au distributeur Énergir (anciennement Gaz Métro) le mandat de développer un vaste chantier d’approvisionnement en gaz naturel en élargissant l’offre du réseau de distribution actuel (les stations multicarburants et le programme Écocamionnage, entre autres). Elle octroie à la filière du gaz naturel le statut d’« énergie de transition », une désignation invoquée par des régions dont l’électricité est principalement produite par des centrales thermiques au charbon et au mazout lourd, ce qui n’est manifestement pas le cas du Québec.
Il y a certes lieu de s’interroger sur le statut privilégié que la PEQ2030 accorde actuellement aux approvisionnements gaziers d’origine fossile alors même que le cadre d’autorisation des projets énergétiques du Québec ne peut plus s’affranchir d’une prise en compte responsable des impacts climatiques de l’extraction et du transit de ses approvisionnements actuels et futurs en hydrocarbures fossiles. Entre autres, dans le calcul des émissions de GES de la filière du gaz naturel, l’impact climatique de chaque molécule de méthane perdue tout au long de la chaîne d’approvisionnement équivaut à plusieurs dizaines de fois celui d’une molécule de CO2 produite lors de la combustion du méthane.
Part négligeable
Il importe de rappeler ici que la production du gaz naturel renouvelable issu des procédés de biométhanisation des résidus organiques représente actuellement une part négligeable du marché du gaz naturel, de sorte que l’essentiel des impacts environnementaux et notamment climatiques de l’ensemble de la filière du gaz naturel est directement le fait de l’exploitation industrielle du gaz naturel fossile.
Le cas de l’usine de gaz naturel liquéfié (GNL) que le promoteur GNL Québec s.e.c. projette de construire à Grande-Anse au Québec est illustratif de l’importance d’inclure le bilan d’émissions de GES lié au cycle de vie complet d’une filière. Énergie Saguenay (16,4 gigamètres cubes, Gm3) de GNL par année, soit le double de la consommation de gaz naturel du Québec en 2016) projette de liquéfier du gaz naturel provenant des réservoirs géologiques de l’ouest du continent pour le vendre sur le marché international, au départ d’un quai de chargement maritime sur le Saguenay.
Or une usine de GNL, au Québec comme n’importe où ailleurs au Canada, reste inséparable d’un raccordement au réseau gazier continental nécessaire pour l’approvisionner en matière première. Son exploitation implique de surcroît plusieurs manipulations déterminées entre l’arrivée du gaz à l’usine et sa destination finale : traitement, liquéfaction, stockage, chargement sur navires méthaniers, transit océanique jusqu’à des points de débarquement côtiers de réseaux gaziers nationaux d’Europe ou d’Asie où, regazéifié, il parcourra encore un long trajet avant de parvenir à ses clients ultimes. Dans ce marché globalisé du gaz fossile, le cycle complet de la filière GNL se traduit par des fuites additionnelles de méthane (transport, évaporation et autres) qui pèsent encore davantage sur un bilan d’émissions de GES déjà problématique pour la partie du cycle de vie qui concerne l’acheminement du gaz naturel à l’usine à partir des réservoirs géologiques sources d’où il provient.
La question est donc de savoir comment la filière du gaz naturel, liquéfié ou non, faciliterait l’atteinte d’un nouveau mix énergétique en adéquation avec les objectifs de réduction de GES. En quoi le gaz naturel serait-il spécifiquement plus avantageux en matière d’investissements structurants de décarbonisation de l’économie du Québec qu’un scénario d’allocation de ressources qui s’intéresserait à la mise en valeur des gisements d’efficacité énergétique et des nouvelles énergies renouvelables dont dispose le Québec ?
Conséquences
Entre autres, quelles conséquences aura cette persistance à prolonger la dépendance au gaz naturel des secteurs industriel et du transport lourd sur l’économie québécoise à long terme ? Les industries du territoire — tout comme celles des éventuels pays importateurs — ne risquent-elles pas d’être placées sur une voie économique, commerciale et financière menant à une impasse structurelle en 2030 ? Puisque des mesures de deuxième reconversion s’imposeront forcément avant 2050, pourquoi ne pas les engager dès aujourd’hui ?
Force est de constater que la transition énergétique du Québec reste pour le moment une vue de l’esprit. Les grandes filières énergétiques continuent d’être planifiées en cercles fermés par leurs promoteurs partout sur le territoire sans que les interactions et impacts des unes et des autres soient correctement évalués et hiérarchisés au sein d’un cadre décisionnel intégré d’investissements garantissant à tous les citoyens, tant du côté de l’offre que de la demande, l’effort de décarbonisation que la PEQ2030 prétend « enclencher ».
S’il devait décider aujourd’hui de s’enfermer dans des scénarios énergétiques insoutenables, dont témoigne entre autres la fausse bonne idée d’une transition énergétique par le gaz naturel fossile, le Québec deviendrait un contre-exemple international de ce qu’exige une gestion politique planifiée, moderne et responsable de lutte contre les changements climatiques.