Téo Taxi, un échec politique

On a peu souligné l’approche innovante de Téo Taxi pour modifier de façon substantielle la dynamique de l’industrie du taxi à Montréal.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir On a peu souligné l’approche innovante de Téo Taxi pour modifier de façon substantielle la dynamique de l’industrie du taxi à Montréal.

L’arrêt brutal du service de Téo Taxi la semaine dernière a donné lieu à toute une série de commentaires, qui ont essentiellement porté sur les sommes « perdues » dans ce qu’on a qualifié d’aventure à risque. Les 20 millions de dollars de subventions gouvernementales et les 40 millions de capital institutionnel et privé investis dans le développement de cette entreprise ont illustré les « frustrations » de voir de l’argent public aller dans le drain.

On a peu souligné l’approche innovante de Téo Taxi pour modifier de façon substantielle la dynamique de l’industrie du taxi à Montréal, non seulement dans ses aspects environnementaux (une flotte « tout électrique »), mais aussi sociaux (des chauffeurs payés 15 $/heure).

À notre avis, l’échec de Téo Taxi est un échec essentiellement politique. Il est lié à l’inertie du gouvernement Couillard, qui a été incapable de soutenir de façon active et dynamique cette forme innovante de mobilité urbaine et d’électrification des transports. Son attitude vis-à-vis d’Uber et son attentisme à adopter une politique et des règlements aptes à mettre tous les joueurs de l’industrie du taxi sur le même pied ont tué dans l’oeuf la rentabilité de Téo Taxi à court et moyen terme. Pourtant, les quelque 400 emplois qui y étaient liés auraient amplement justifié son implication forte et constante. Deux ministres des Transports du même gouvernement ont démissionné ou ont « été démissionnés » pour désaccord substantiel sur les formes d’encadrement du marché des taxis en libre service comme Uber. Au nom de l’idéologie du PLQ, qui repose fondamentalement sur la liberté individuelle et qui oublie le bien commun et le bien-être des populations. Pourtant, et à titre de comparaison, on pourrait prendre la Cimenterie McInnis. Combien d’argent public y a été investi, pour combien d’emplois, pour quel type de production ? Les seuls dépassements de coûts de ce projet ont été de 400 millions de dollars pour la création de 400 emplois permanents avec une garantie d’augmentation conséquente des GES au Québec.

Développement durable

 

Les explications d’Alexandre Taillefer concernant sa responsabilité et ses erreurs de gestion dans la gouvernance de son projet ne doivent pas non plus faire oublier la vision de mobilité urbaine et d’électrification des transports qui y était présente. En fait, Téo Taxi apparaît comme un marqueur du développement durable, et la classe politique doit en tirer les conséquences. Si le gouvernement de la CAQ n’a pas montré de sensibilité ou de vision arrêtée à l’égard des enjeux environnementaux dans son programme électoral, il a l’occasion de tirer les leçons de cet échec pour mettre en place une politique environnementale robuste et adaptée aux défis de l’heure. Il dispose d’ailleurs de trois options pour ce faire.

D’une part, il possède une caisse enregistreuse qui s’appelle le Fonds vert et qui a généré des revenus l’an dernier de plus de 930 millions de dollars. Le début de ménage dans l’attribution de cet argent sans aucune ligne directrice peut permettre d’établir les priorités du gouvernement à l’égard du développement durable et de la transition énergétique — par-delà la politique énergétique 2017-2020 adoptée par le gouvernement Couillard.

D’autre part, il peut facilement se doter d’une politique industrielle qui, à l’instar de ce qui se fait en Allemagne depuis plus de 20 ans, intègre l’environnement au coeur du processus de décision des programmes et politiques de développement économique du gouvernement. Le plus bel exemple est celui de l’intelligence artificielle où des dizaines, voire des centaines de millions de dollars se déversent actuellement pour structurer ce secteur économique et en faire un leader mondial. Les promoteurs de ce secteur — porté publiquement par le professeur Yoshua Bengio — ont publié en décembre dernier la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle (IA) qui intègre les enjeux environnementaux et les défis éthiques que pose le développement de ce secteur économique.

Finalement, il doit s’appuyer fortement sur les villes et les communautés métropolitaines comme relais, acteurs et opérateurs de ses politiques environnementales basées sur la transition énergétique et le développement d’une économie durable, facteurs de croissance incontournables au moment où l’économie mondiale devient consciente des coûts du laisser-aller en ce domaine.

Dans ce contexte, le projet de Téo Taxi apparaîtra comme un pas en avant et non pas comme un simple échec économique.

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