Une autre montée de lait sur la laïcité

«La laïcité scolaire n’est pas faite pour garantir les emplois des enseignants, mais bien pour protéger la liberté de conscience des élèves», juge Louise Mailloux.
Photo: Gregory Dean Getty Images «La laïcité scolaire n’est pas faite pour garantir les emplois des enseignants, mais bien pour protéger la liberté de conscience des élèves», juge Louise Mailloux.

« M. Drainville, quelles sont les études sur lesquelles vous vous appuyez ? Vous prétendez légiférer sur un terrain que vous ne connaissez pas. Vous vous êtes lancés dans cette opération dans une ignorance de la situation. »

C’était le 23 septembre 2013, à l’émission Tout le monde en parle, où on a pu assister à une confrontation sur la charte des valeurs entre le ministre Bernard Drainville et Gérard Bouchard, alors que ce dernier se faisait particulièrement insistant sur la question des études, voulant par-là embarrasser le ministre et montrer que sa démarche n’était aucunement fondée.

Et voilà maintenant que le gouvernement a provoqué une commotion en demandant à trois commissions scolaires s’ils avaient des statistiques concernant les employés qui portent des signes religieux. Si le gouvernement n’a aucune donnée, on va le lui reprocher et s’il cherche à obtenir des données, les libéraux l’accusent de profilage racial, et la présidente de la CSDM de faire une chasse aux sorcières. Faudrait peut-être savoir ce que l’on veut !

Dans le fond, ce que l’on veut, c’est donner du fil à retordre au gouvernement pour l’empêcher de légiférer. Et si le gouvernement n’a rien appris sur le nombre d’employés portant des signes religieux, il aura néanmoins beaucoup appris sur l’opposition qui l’attend concernant son futur projet de loi sur la laïcité.

Les adversaires seront nombreux et ne lui feront pas de cadeau. À commencer par la CSDM et la Fédération des commissions scolaires que la CAQ se propose d’abolir. Les syndicats d’enseignants ; FNEEQ, CSN, FAE, Alliance des professeurs, partageant sans surprise la même position que Québec solidaire, voulant que ce soit l’État qui doit être neutre, non pas les individus, et que de toute façon, il y a bien d’autres priorités dans l’éducation que celle de vouloir interdire le port de signes religieux aux enseignants.

Bref, ces syndicats sont pour la laïcité uniquement lorsqu’il s’agit des catholiques et des évangéliques, alors qu’au nom de l’anti-impérialisme et de l’Occident colonialiste, ils se sont trouvé un nouveau prolétariat à défendre et à sauver chez les musulmans.

Partisanerie politique

 

Les réactions mesquines des partis d’opposition, par suite de la demande de statistiques, révèlent qu’aucun parti n’a l’intention d’appuyer le gouvernement dans sa volonté de légiférer sur l’interdiction des signes religieux. Bien au contraire, ils semblent décidés à jouer la carte de la partisanerie politique en faisant de l’obstruction systématique sur la moindre virgule du futur projet de loi. L’absence d’appui et les réserves pointilleuses du Parti québécois sont particulièrement déplorables et lamentables, lui qui, il n’y a pas si longtemps, avait présenté un ambitieux projet pour garantir la laïcité au Québec.

Nous ignorons pour l’instant si le gouvernement va ou non céder sur le droit acquis ou s’il va congédier les enseignants qui refuseront d’enlever leurs signes religieux, mais on croit comprendre qu’il jongle avec l’idée de réaffecter les récalcitrants dans des tâches à l’extérieur de la salle de cours. Cette solution est intéressante et vaut la peine d’être examinée sérieusement.

D’abord parce qu’en matière de principes, elle est cohérente avec les fondements de la laïcité, à savoir de garantir avant tout la liberté de conscience des élèves. Ce qui doit être l’un des devoirs primordiaux d’une école véritablement laïque. La laïcité scolaire n’est pas faite pour garantir les emplois des enseignants, mais bien pour protéger la liberté de conscience des élèves.

Également parce que de s’assurer que tous les enseignants ne portent pas de signes religieux en classe, c’est reconnaître le caractère prosélyte du signe. Non pas l’incompétence de l’enseignant dans sa matière, comme certains voudraient nous le faire croire, mais de reconnaître que le signe religieux, d’un point de vue sémiologique est, comme l’affirmait Roland Barthes, un fait de communication. D’ailleurs, si les journalistes ont parlé pendant trois semaines des Doc Martens de la députée Dorion qu’elle exhibe si fièrement, c’est justement parce que cela signifie quelque chose. Alors ne venez pas me dire que le voile islamique est insignifiant !

Il n’y en aura pas de faciles, mais le gouvernement semble bien déterminé à aller de l’avant dans ce dossier. Il en a les moyens et la population est derrière lui. Malgré toute l’opposition qu’il rencontrera, jamais la conjoncture n’aura été aussi favorable pour sortir le Québec de l’impuissance institutionnelle qui le paralyse depuis de nombreuses années en ce qui a trait à l’interdiction des signes religieux, particulièrement le voile islamique.

Qu’il demeure ferme sur ses convictions et confiant, et qu’il se rappelle ce proverbe arabe : « Les chiens aboient et la caravane passe. »

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