La décroissance ordonnée des effectifs humains est-elle possible?

Nous aurions été environ 200 millions d’humains au temps de l’Empire romain, 750 millions à l’aube de la révolution industrielle et maintenant 7,6 milliards.
 
Photo: Gulshan Khan Agence France-Presse Nous aurions été environ 200 millions d’humains au temps de l’Empire romain, 750 millions à l’aube de la révolution industrielle et maintenant 7,6 milliards.
 

Les projections démographiques de l’ONU prévoient que la population mondiale comptera environ 10 milliards de personnes en 2050. Nous sommes cependant déjà assez nombreux pour que nos activités bouleversent l’atmosphère et détruisent les écosystèmes, à ce point que nous observons une extinction massive des espèces avec qui nous partageons la planète.

La Terre serait vieille de 4,5 milliards d’années et la vie y serait apparue environ 500 millions d’années plus tard. Les plus anciens représentants connus de notre genre, Homo, remontent à 2,4 millions d’années, et ceux de notre espèce Homo sapiens, à 300 000 années, une fraction infinitésimale de l’histoire de la vie sur Terre. Nous aurions été environ 200 millions d’humains au temps de l’Empire romain, 750 millions à l’aube de la révolution industrielle et maintenant 7,6 milliards : il s’agit d’une croissance exponentielle qui pourrait se stabiliser autour de 11 milliards de personnes en 2100 selon le scénario médian de l’ONU. C’est dire qu’en peu de temps, en termes géologiques, nous avons connu un tel succès démographique que maintenant nos activités perturbent autant l’atmosphère que les milieux terrestres et aquatiques. Et, ces dérangements seraient décuplés si tous les humains d’aujourd’hui possédaient le même train de vie que nous, Nord-Américains. Pourtant, même dans la situation actuelle, nous peinons à régler le problème le plus urgent à résoudre, celui de l’émission des gaz à effet de serre ; il semble déjà utopique que l’on puisse limiter la hausse de la température à 1,5 °C.

Pourquoi ce succès ?

Que s’est-il passé pour que la population humaine s’emballe ? Depuis que nos ancêtres ont quitté leur vie de cueilleurs-chasseurs pour devenir sédentaires, nos effectifs ont progressivement augmenté malgré une mortalité périnatale relativement élevée et une espérance de vie assez courte. Cependant, la médecine moderne a fait en sorte que le taux de survie des nouveau-nés et des adultes a augmenté de façon spectaculaire : la médecine moderne, au sens large, qui inclut une meilleure alimentation, représente ainsi le facteur central expliquant la croissance récente de nos effectifs. En Europe et en Amérique du Nord, une réduction du taux de fertilité a contrebalancé la longévité accrue, de sorte que les effectifs humains sont maintenant stables, voire en déclin (abstraction faite de l’immigration), mais ailleurs sur la planète, la vigueur démographique demeure forte.

Pour restreindre l’augmentation de la température terrestre à 1,5 °C, la science nous trace la voie : réduire considérablement l’utilisation des énergies fossiles, mais aussi diminuer la consommation de protéines animales, génératrices de gaz à effet de serre. Certains prônent également la consommation d’insectes, le végétalisme et la stérilité volontaire pour arriver à cette fin. Mais ces changements ne régleraient en rien l’autre grand problème que nous affrontons, celui de la destruction des écosystèmes et l’extinction des espèces. Nous connaissons moins bien la conséquence de la perte de biodiversité, mais ce facteur importe aussi : l’écologie nous apprend que des points de bascule peuvent se produire dans des écosystèmes déréglés.

La solution de ces deux grands problèmes contemporains serait beaucoup plus facile si nous planifiions dès maintenant la décroissance ordonnée des effectifs humains. Celle-ci passerait nécessairement par une réduction de la fécondité, mais aussi par une remise en question du rôle de la médecine dans nos sociétés, notamment en fin de vie. Certains ont envisagé cette avenue mais, de façon générale, il s’agit d’une option taboue.

Une solution possible ?

Malgré une implacable logique — moins nous sommes, moins nous polluons, moins d’espace nous occupons —, il y a très peu de chances que nous adoptions, pour l’ensemble de la planète, une politique de réduction des effectifs humains à court ou moyen terme. Cette idée se butera à des dogmes, en premier lieu celui de l’économie : il faut que le PIB croisse, il faut maintenir les emplois actuels, il faut augmenter l’immigration pour pourvoir les postes vacants, etc. Elle se butera aussi à des raisons humaines : cela va à l’encontre de nos pulsions les plus fortes — nous reproduire, choisir le moindre effort, refuser la mort, etc. – et à nos croyances religieuses. Enfin, notre organisation politique, sans gouvernance multinationale, où les intérêts nationaux s’entrechoquent, rendra impossible une telle orientation. Les suites de l’Accord de Paris en témoignent éloquemment.

Si nous changeons le nom de l’espèce et que nous présentons la courbe des effectifs humains à un spécialiste de la démographie animale, il conclura rapidement qu’il s’agit d’une éruption et que cette croissance va se terminer par un effondrement des effectifs quand la compétition pour les ressources deviendra suffisamment forte. Par exemple, le troupeau de caribou de la rivière George, dans le nord du Québec, comptait près d’un million d’individus, il y a une vingtaine d’années, mais ses effectifs sont maintenant réduits à quelques milliers. Les exemples d’éruption foisonnent en écologie animale et se terminent rarement par des atterrissages en douceur. Vivant de plus en plus en ville, déconnectés de la nature, certains se pensent désormais de purs esprits, à en juger par leurs préoccupations métaphysiques : par exemple, formulaires non genrés, appropriation culturelle, etc. Une chose demeure cependant : nous sommes des mammifères, des animaux. Et si nous sommes incapables d’utiliser notre intelligence pour aller au-devant des coups, la nature imposera ses lois, et celles-ci seront impitoyables.
 

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