Les oléoducs de la discorde

Manifestation d’appui aux membres de la nation Wet’suwet’en devant le parlement de la Colombie-Britannique, à Victoria, le 8 janvier dernier
Photo: Chad Hipolito La Presse canadienne Manifestation d’appui aux membres de la nation Wet’suwet’en devant le parlement de la Colombie-Britannique, à Victoria, le 8 janvier dernier

Le 8 janvier, des agents de la Gendarmerie royale du Canada arrêtaient 14 membres de la nation Wet’suwet’en, en Colombie-Britannique. Ces derniers avaient érigé un poste de contrôle sur une route forestière afin de bloquer la construction du gazoduc Coastal Gazlink devant relier les champs gaziers du nord-est de la province à la côte pacifique.

Après la saga de l’oléoduc Trans Mountain, cette autre confrontation autour d’un projet de transport d’hydrocarbures met à mal le projet de réconciliation avec les peuples autochtones cher au gouvernement Trudeau. Le Québec, où un projet semblable de gazoduc visant à relier l’Ontario à un port sur le Saguenay est présentement à l’étude, aurait aussi avantage à porter attention à ce qui se passe en Colombie-Britannique.

Interprétations divergentes

 

Pour la vaste majorité des Canadiens, l’intervention de la GRC afin de démanteler le barrage routier érigé par des militants autochtones va de soi. Il s’agit de faire appliquer l’injonction obtenue par le promoteur afin de libérer la route menant au chantier du gazoduc. Le Canada, se plaît-on à rappeler, est un État de droit. Les décisions des tribunaux canadiens doivent être respectées.

Pour les Autochtones, une telle intervention policière s’inscrit dans un tout autre registre. Le gazoduc traverse les terres ancestrales de la nation Wet’suwet’en, terres que ces derniers n’ont jamais cédées à l’État canadien, que ce soit par un traité ou par la force. Dans cette perspective, le blocage de la route menant au chantier constitue une affirmation de l’autorité souveraine du peuple Wet’suwet’en sur ses terres, autorité qu’il exerce depuis bien avant la création de la Colombie-Britannique. L’intervention policière constitue dès lors une invasion, comparable à une intervention militaire, par une puissance étrangère.

Si elle frappe l’imaginaire, cette allusion au droit international n’est pas si farfelue. En 2014, la Cour suprême a reconnu le titre ancestral de la nation Tsilhquot’in, elle aussi en Colombie-Britannique. Les autorités provinciales et fédérales doivent depuis obtenir le consentement des Tsilhquot’in avant d’autoriser un projet sur leurs terres ancestrales. Il est tout à fait plausible de penser que la nation Wet’suwet’en se verrait aujourd’hui reconnaître un tel titre par les tribunaux.

Les Wet’suwet’en peuvent également s’appuyer sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones afin de faire valoir leur autorité sur leurs terres. Sans parler de souveraineté autochtone, la Déclaration affirme le droit de ces derniers de contrôler et de disposer librement de leurs territoires. La Déclaration précise que les autorités étatiques doivent consulter les Autochtones en vue d’obtenir leur consentement préalable, libre et éclairé avant d’autoriser un projet affectant leurs terres ancestrales.

Le gouvernement Trudeau a souscrit à la Déclaration des Nations unies et fait du consentement un des principes devant guider ses relations avec les Premiers Peuples. Dans de telles circonstances, l’intervention policière sur les terres des Wet’suwet’en apparaît non seulement problématique sur le plan légal, mais aussi profondément contradictoire avec l’esprit de réconciliation dont se revendique le premier ministre.

Réconcilier les souverainetés

 

Comment éviter à l’avenir ces affrontements ? Le respect de l’autorité des peuples autochtones sur leurs terres ancestrales est un élément de réponse incontournable. La mise en oeuvre de ce principe soulève toutefois des difficultés qu’illustre encore une fois bien le cas des arrestations récentes.

TransCanada, l’entreprise derrière le projet de gazoduc, fait valoir le fait qu’elle a bel et bien obtenu le consentement des Wet’suwet’en. Le conseil de bande de la nation a en effet signé une entente portant sur le partage des bénéfices du gazoduc avec TransCanada. Les chefs héréditaires Wet’suwet’en rétorquent que le conseil de bande, une créature de la Loi sur les Indiens, n’a pas autorité sur les terres ancestrales non cédées de la nation. L’entente négociée ne constituerait pas en ce sens l’expression légitime du consentement de la nation Wet’suwet’en.

Qui alors peut consentir au nom de la communauté ? Et en vertu de quel processus ? Ces questions sont complexes, mais elles ne sont pas impossibles à résoudre.

Tout d’abord, les autorités canadiennes doivent cesser d’assimiler l’expression du consentement autochtone à une transaction privée. Si la négociation d’ententes entre les promoteurs des projets et les communautés affectées est en soi une bonne chose, elles ne peuvent remplacer un véritable processus décisionnel, reposant sur une évaluation indépendante de l’impact des projets.

Ensuite, un véritable partage de la souveraineté requiert de reconnaître l’autorité des Autochtones sur leurs terres. Il faut donc que les processus décisionnels donnent aux Autochtones une véritable voix au chapitre, au-delà de la simple consultation. Des processus conjoints d’autorisation des projets, comme il en existe déjà en Colombie-Britannique en matière de foresterie et d’aquaculture doivent devenir la norme.

Enfin, la structure décisionnelle au sein des nations autochtones doit être clarifiée, notamment entre les autorités héréditaires et les conseils de bande, afin de s’assurer de la légitimité des ententes négociées et des processus de collaboration mis en place. La reconstitution interne des systèmes politiques et juridiques autochtones apparaît en ce sens indissociable du processus de réconciliation en matière de gestion du territoire et des ressources naturelles.

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