Plutôt abolir l’impôt foncier scolaire que d’en uniformiser le taux
![En 1966, la commission Parent déclarait : «[…] c’est la société tout entière qui est responsable de l’éducation la plus complète possible de chaque étudiant, sans égard à la région qu’il habite ou à son milieu d’origine.»](https://media2.ledevoir.com/images_galerie/nwd_687072_530266/image.jpg)
Le problème de l’impôt foncier scolaire n’est pas celui de l’uniformisation de son taux à travers le Québec. Le problème c’est l’impôt lui-même, car il n’a plus sa raison d’être. Il est le reliquat d’une époque révolue. Aussi, le projet de loi no 3 du gouvernement Legault qui sera débattu sous peu élude la vraie question.
L’école publique née en 1829 a d’abord et avant tout été conçue comme une responsabilité des communautés locales. Du reste, il n’y aura de pouvoir central qu’en 1858 avec la création du Conseil de l’instruction publique. Pour « donner aux habitants le goût de l’éducation », l’État a néanmoins subventionné le corps des « syndics » chargés de les administrer.
Si on a compté aussi sur la contribution parentale (les familles pauvres en étaient exemptées), l’intention première fut de financer l’éducation à même un impôt foncier puisque l’éducation était l’affaire des communautés. Mais son imposition n’alla pas du tout de soi et provoqua la Guerre des éteignoirs ! Il fallut une bonne vingtaine d’années avant que la mesure ne soit pleinement acceptée. Quant à l’impôt sur le revenu, il ne vit le jour au fédéral qu’en 1917, et au Québec qu’en 1940.
Au milieu des années 1960 s’opéra un changement radical. L’urbanisation, la proclamation du droit de tous à l’éducation dans la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, le développement économique fulgurant d’après-guerre ont fait de l’État le premier responsable d’assurer à tous le droit à l’éducation. Ainsi, en 1966, la commission Parent déclarait : « […] c’est la société tout entière qui est responsable de l’éducation la plus complète possible de chaque étudiant, sans égard à la région qu’il habite ou à son milieu d’origine. »
« No representation without taxation »
La commission n’osa toutefois pas suggérer un financement complet de l’éducation par l’État. Elle s’en remit à un argument de convenance pour justifier le maintien de l’impôt foncier : « La nécessité de recourir régulièrement à l’impôt attache un élément important de responsabilité à l’autorité dont une collectivité investit ses représentants », c’est-à-dire la commission scolaire. Autrement dit : « No representation without taxation » !
Pour la commission Parent, la taxe scolaire devait servir à « financer une partie du coût du service de l’enseignement de l’école publique dans ce que ce service aura de commun à toutes les écoles et à toutes les régions. […] Il faudra le considérer, dans cette mesure, comme l’équivalent d’un impôt provincial et voir pour cette raison à en uniformiser l’incidence à travers tout le territoire ».
Aussi recommanda-t-elle « que l’impôt foncier soit retenu pour le financement des commissions scolaires, mais qu’il prenne la forme d’un impôt général à lever uniformément partout pour le paiement des services d’enseignement des services de base offerts par l’école publique ».
Plus récemment, en 2014, le Comité d’experts sur le financement, l’administration, la gestion et la gouvernance des commissions scolaires (le comité Champoux-Lesage) a abouti à la même conclusion : « La taxe scolaire [est] un champ d’impôt local devenu de facto un champ d’impôt provincial. »
Pour l’heure, les revenus que génère l’impôt foncier s’additionnent aux subventions que verse le gouvernement. Leurs montants sont fixés annuellement par les règles budgétaires du ministère de l’Éducation. Certaines dépenses ne sont toutefois pas « paramétrées » dans ces règles. Ces récentes années, rapporte le ministère, le produit de la taxe a servi à l’entretien et au fonctionnement des équipements, à la direction et à la gestion des établissements, aux dépenses des sièges sociaux, à la moitié du transport scolaire et au budget de fonctionnement des conseils d’établissement. Mais le fondement logique de cette répartition n’est pas évident.
Aussi, on ne voit pas pourquoi toutes les dépenses ne pourraient pas être prises en charge par l’État central à même les revenus de l’impôt des particuliers et des entreprises. Les commissions scolaires continueraient, comme maintenant, de répartir ensuite ces revenus selon les mécanismes déjà prévus dans la loi.
Ce serait d’autant plus justifié que l’impôt foncier est fondé sur la valeur des propriétés dont les fluctuations reposent sur celles, bien ténébreuses, de l’offre et de la demande. Surtout, ses paramètres varient énormément d’une région, voire d’une localité à une autre. Un bungalow construit à Anjou en 1960 vaut sans doute 600 000 $ aujourd’hui. S’il avait été érigé à Trois-Pistoles, il serait évalué à 200 000 $! Enfin, il faudrait voir quel est le bénéfice net de l’impôt foncier uniformisé compte tenu des coûts liés à sa perception.
Cette proposition suppose évidemment un changement de vision sur le plan politique quant au financement des commissions scolaires. Avant même de débattre du projet de loi 3, il vaut la peine de se demander si c’est la voie à emprunter.