Une stratégie globale de transition énergétique s’impose

Les projets d’exportation massive d’électricité lancés par Hydro-Québec à l’été 2017 marquent un virage radical par rapport à toutes les exportations réalisées par la société d’État sur le marché de gros du Nord-Est depuis plus de 20 ans.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Les projets d’exportation massive d’électricité lancés par Hydro-Québec à l’été 2017 marquent un virage radical par rapport à toutes les exportations réalisées par la société d’État sur le marché de gros du Nord-Est depuis plus de 20 ans.

Dans le contexte actuel de la « crise climatique », des voix multiples s’élèvent au Québec comme ailleurs pour réclamer l’adoption de vigoureuses politiques publiques favorisant une transition énergétique efficace, juste et solidaire. Pour sa part, lors de la récente rencontre fédérale-provinciale à Montréal, François Legault a réaffirmé la pertinence d’une taxe sur le carbone et, se référant au principe d’acceptabilité sociale, il a rejeté fermement tout projet de pipeline comme celui d’Énergie-Est qui acheminerait à travers le Québec l’« énergie sale » de l’Ouest — sans évoquer toutefois le mégaprojet de canalisation de l’Alberta vers le Saguenay pour alimenter la filière du gaz naturel liquéfié. En contrepartie, M. Legault a promu auprès de ses homologues l’accroissement du commerce interprovincial et l’exportation de notre hydroélectricité. Cela permettrait, selon le programme de la CAQ, d’« enrichir tous les Québécois » et constituerait « la contribution la plus importante du Québec à la lutte contre les changements climatiques ».

Or nous nous inquiétons des analyses et des arguments qui sous-tendent le discours de vente intempestive de notre « énergie propre » aux voisins canadiens et à ceux du Sud : le Québec aurait déjà d’importants surplus d’hydroélectricité et peut en produire davantage en harnachant les dernières rivières encore préservées. Le patrimoine territorial et hydroélectrique du Québec serait donc d’abord à vendre, alors qu’il devrait être utilisé prioritairement pour la nécessaire restructuration de notre propre secteur énergétique.

Dans une telle logique commerciale, les projets d’exportation massive d’électricité lancés par Hydro-Québec à l’été 2017 marquent un virage radical par rapport à toutes les exportations réalisées par la société d’État sur le marché de gros du Nord-Est depuis plus de 20 ans. Il ne s’agit plus désormais d’une croissance des ventes à court terme, contractées sur une base d’enchères quotidiennes — ce à quoi il n’y a pas lieu de s’opposer a priori — mais bien d’ententes commerciales à long terme qui engagent formellement Hydro-Québec à réserver des actifs de production hydroélectrique et de transport pour acheminer en continu pendant 20 ans des livraisons massives d’électricité du Québec jusqu’à Boston, New York ou Toronto.

L’ampleur et la portée inédites de ce type de contrats constituent indéniablement un cas sans précédent dans l’histoire des exportations commerciales d’électricité du Québec. Pour autant, ni le gouvernement ni la société d’État n’ont présenté aux citoyens quelque indication sur les tenants et aboutissants d’un surbooking précipité des « surplus » d’électricité du Québec. Le débat public sur les conséquences de ce type d’exportations massives doit être lancé dans l’intérêt de tous les citoyens et abonnés d’Hydro-Québec.

Dans le contexte actuel, les risques d’une telle stratégie commerciale sont en effet multiples. Parmi ceux-ci, il y a la perte de souveraineté juridique, énergétique et opérationnelle du Québec qui résulterait de la « dérivation » permanente de capacités hydroélectriques et de transport actuellement en exploitation, désormais asservies aux livraisons prévues dans ces contrats commerciaux. Implicitement, lorsque Hydro-Québec polarise ainsi l’essentiel de son avoir propre en direction de la construction de futurs complexes hydroélectriques, il prive la restructuration de l’économie du Québec de capitaux et de ressources stratégiques et retarde indûment la mise en oeuvre immédiate d’une véritable transition énergétique cohérente, efficace et équitable au Québec.

Alors que le développement du gisement hydraulique résiduel du Québec n’offre plus de perspectives de rentabilité commerciale et s’avère très problématique d’un point de vue écologique, nous sommes préoccupés par le fait qu’Hydro-Québec continue d’entretenir un modèle d’affaires anachronique tourné vers la construction de futurs complexes hydroélectriques désormais toujours plus coûteux et éloignés, et qui soulèvent la question des droits autochtones. D’autres technologies, tant du côté de l’offre que de la demande, ouvrent assurément de meilleures perspectives.

À cet effet, l’idée selon laquelle les surplus énergétiques d’Hydro-Québec empêchent actuellement la mise en oeuvre d’un projet éolien comme celui d’Apuiat est une véritable imposture. D’une part, la diversité des approvisionnements en fonction des contextes est un principe à mettre en oeuvre — d’un point de vue tant écologique qu’économique — sur l’ensemble du territoire québécois. D’autre part, si on tient compte de l’évolution technologique contemporaine, l’éolien représente aujourd’hui pour le Québec une option plus prudente et plus rentable que l’hydraulique pour répondre aux nouveaux besoins d’approvisionnement énergétique. Cette réalité était déjà démontrée sur une base de comparaison à service équivalent en 2008, ce qui n’a malheureusement pas empêché la construction du complexe La Romaine. Il serait déplorable de répéter une telle erreur alors que l’urgence climatique requiert une transition énergétique basée sur la diversification des sources d’énergie renouvelable comme sur la réduction et l’efficacité énergétiques.

Par ailleurs, devant l’accélération des projets de la filière du gaz naturel liquéfié au Québec, nous tenons à rappeler que le gaz naturel — très lourd en carbone et requérant des investissements colossaux — ne fait pas partie d’une stratégie de diversification énergétique responsable pour le Québec. Le titre d’« énergie de transition » que la Politique énergétique 2030 lui a consenti mine la crédibilité internationale du plan d’action du Québec en matière de lutte contre les changements climatiques.

En somme, c’est l’ensemble de cette politique qui est à revoir. La mise en oeuvre audacieuse d’une stratégie globale de transition énergétique est non seulement possible au Québec, mais elle s’impose comme le premier projet de société capable de restructurer notre économie pour le long terme et de répondre à l’incontournable exigence écologique contemporaine.

* Membres du collectif : Bernard Saulnier, ing. retraité, Lucie Sauvé, Marc Brullemans. En collaboration avec Laurence Brière, Élyse-Anne Faubert, Louis-Étienne Boudreault, Carol Saucier, Johanne Béliveau.

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