Le territoire comme lieu de solidarités

À titre de directeur scientifique de l’un des deux instituts universitaires de première ligne en santé et services sociaux, j’ai eu l’occasion de vivre la réforme Barrette de l’intérieur tout en demeurant en extériorité, puisque professeur à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke. Le changement de gouvernement et de ministre m’offre enfin la possibilité de livrer quelques réflexions personnelles sans craindre des représailles. Ces réflexions visent d’abord avant tout à jeter une lumière sur un impensé, sur un « éléphant dans la pièce » de la réforme : le territoire local comme lieu d’appartenance et de solidarités.
Au MSSS, ces dernières années, la mise en oeuvre de services dits de proximité comme les Groupes de médecine familiale (GMF) a constitué une priorité. Ceux-ci sont toutefois pensés dans une logique médico-technocratique, car complètement déconnectée des territoires vécus et des solidarités locales.
Trois manifestations de cet impensé : 1) La création des CIUSSS et des CISSS en 2015 a de fait créé des territoires de desserte dans une logique laminant les communautés locales. 2) La première ligne de services a été décentrée des centres locaux de services communautaires (CLSC) vers les GMF, qui n’ont aucun lien structurant avec les territoires locaux. 3) Les organismes communautaires, lieux exemplaires de solidarités locales, ont été considérés comme du menu fretin. Ces manifestations doivent également être mises dans un contexte de vieillissement accéléré de la population, tout comme en Italie et au Japon.
Maintenir les personnes chez soi
Il n’y a pas d’avenir pour notre système de santé et de services sociaux si les personnes et les communautés locales ne sont pas impliquées dans le devenir de leur santé et de leur bien-être. Mais pour ce faire, l’organisation des services doit notamment relever le défi de maintenir les personnes dans leur chez-soi tout en tenant compte de leurs contextes de vie. Le Japon a ainsi mis en place des réseaux intégrés de services fondés sur le territoire et l’intersectorialité pour répondre aux enjeux de vieillissement. Un autre exemple a trait au programme Habitat-Microterritoires de Trieste en Italie.
Il s’agit d’un processus résultant d’une démarche intégrée, encadrée de conventions institutionnelles entre l’Agence sanitaire universitaire intégrée de Trieste, la municipalité de Trieste, la municipalité de Muggia et l’Office public d’habitation de Trieste. Toutes ces administrations, parties prenantes d’une stratégie commune définie en 2005, mettent en oeuvre, autour d’une finalité partagée, des dispositifs et des ressources afin d’améliorer la capacité collective à résoudre les problèmes de santé et de bien-être, à diminuer les inégalités sociales et de santé et ainsi garantir l’accès aux services et le droit à la santé.
Ce programme est présentement déployé dans 16 microterritoires de la ville, parmi les plus défavorisés par des problèmes sociaux et de santé. L’évaluation du programme a démontré que celui-ci a amélioré la prise en charge des personnes malades, réduisant de fait le recours inapproprié à l’hôpital (moins d’hospitalisations aux urgences et moins de réadmissions) tant pour les personnes âgées ou vulnérables (pour problèmes respiratoires, cardiaques, urinaires et fractures) que pour les malades et les troubles mentaux (moins d’hospitalisations aux urgences). Les résultats démontrent en outre que le programme a été en mesure de susciter des interactions sociales positives capables de mieux résoudre et de prévenir les problèmes sanitaires, sociaux, relationnels et de logement qui pourraient compromettre la santé ; capables donc de générer du capital social qui produit la santé.
Le Québec a tout intérêt à s’intéresser au programme Habitat-Microterritoires dans une perspective de responsabilité populationnelle afin notamment d’améliorer la gouvernance et la régulation des GMF.