Le malaise des finalistes du Prix des collégiens

«En s’unissant à Amazon, le Prix manque à sa mission première», écrivent les auteurs.
Photo: Justin Sullivan Getty Images / Agence France-Presse «En s’unissant à Amazon, le Prix manque à sa mission première», écrivent les auteurs.

Compter parmi les finalistes d’un prix à la fois prestigieux et porteur d’une mission sociale et éducative comme le Prix littéraire des collégiens est un privilège immense pour les romancières et romanciers que nous sommes. Le travail de la création littéraire dans une écologie fragile comme la nôtre s’avère parfois solitaire, ardu et éprouvant. Les reconnaissances, quand elles viennent, sont une bouffée d’air frais, nous encouragent à continuer, à ne pas céder au désespoir, à résister au mépris diffus pour la littérature qui fait parfois ressentir son empreinte forte.

Notre joie a été entachée, le vendredi 9 novembre, lorsque nous avons appris la collaboration financière de la multinationale Amazon au Prix. Notre immense malaise provient de la concurrence dangereuse que ce géant exerce contre les librairies du Québec. Faut-il rappeler la précarité du commerce du livre et de l’édition littéraire ? Faut-il citer les méthodes inhumaines de ce géant de la vente en ligne, qui constitue un péril pour les petits commerçants et les milieux culturels ? Faut-il comptabiliser les largesses fiscales dont bénéficie cette entreprise appartenant à l’homme le plus riche du monde, dans un pays qui soutient prudemment la culture et impose tout aussi prudemment les grandes fortunes ?

Des libraires loyaux, engagés et dévoués envers les livres qui font notre littérature se battent quotidiennement pour survivre dans un monde où rien n’échappe aux diktats du commerce et du profit. Le logo d’Amazon accolé à celui du Prix que nous aimons lui fait tristement ombrage. Ni les maisons d’édition ni les auteurs n’avaient été mis au courant de ce « partenariat » avant le dévoilement des finalistes. À ainsi nous trouver indirectement associés à Amazon, nous avons ressenti un choc douloureux. Certains d’entre nous ont songé à retirer leur nomination sous le coup de l’émotion. Après réflexion, il nous est apparu que nous pénaliserions d’abord les collégiens en provoquant l’annulation de leur activité littéraire. Que nous nuirions à nos éditeurs et à nos éditrices, à la tête de petites maisons — pas de gargantuesques conglomérats —, qui ont fait réimprimer les livres pour l’occasion. De concert, nous avons plutôt décidé de vous faire part de notre malaise, en espérant que nous pourrons trouver ensemble des solutions afin que le Prix littéraire des collégiens puisse être tenu cette année encore. Le Prix littéraire des collégiens pourrait-il se passer de l’argent d’Amazon ? Trouver des commanditaires davantage en accord avec les valeurs qu’il défend ? Changer, ne serait-ce qu’exceptionnellement, son mode de scrutin (le déplacement et le logement des porte-parole) afin de diminuer ses coûts, tout en permettant aux cégépiens du Québec de participer à cette activité importante ?

Redisons l’honneur que nous ressentons d’avoir été choisis par le comité de sélection de ce Prix, qui place en son coeur l’expérience littéraire des collégiens et des collégiennes, la chance inouïe d’être lus par elles et eux, mais aussi d’échanger sur le sujet qui nous tient le plus à coeur : la littérature. Nous connaissons — pour l’avoir vécu à titre d’étudiants, dans certains cas — l’impact que peut avoir la fréquentation des oeuvres, la mise en commun des lectures, et les débats esthétiques et politiques que suscite le Prix littéraire des collégiens. Cela change des vies. Malheureusement, nous trouvons qu’en s’unissant à Amazon, le Prix manque à sa mission première, qui est de « promouvoir la littérature québécoise actuelle auprès des étudiants des collèges et des cégeps en encourageant l’exercice du jugement critique à travers la lecture ». Nous jugeons que la défense de la « littérature québécoise » et la promotion d’une multinationale nuisant aux librairies, et donc à cette même « littérature québécoise », ne peuvent aller de pair. Nous trouvons par ailleurs que cette union malheureuse met en péril la possibilité d’exercer le « jugement critique » des étudiantes et des étudiants, en banalisant l’intrusion d’une multinationale aux manières peu reluisantes dans le milieu littéraire québécois.

Nous sommes conscients du péril financier qui menace toujours nos institutions culturelles, des défis administratifs et pécuniaires que comporte l’organisation d’un prix. Nous saluons le travail des organisateurs et des organisatrices du Prix littéraire des collégiens. Nous saluons l’amour qu’ils et elles portent aux livres. Nous saluons le formidable véhicule de démocratisation et d’accès à la littérature que constitue le Prix. Nous saluons l’immense reconnaissance qu’il nous offre. Et nous espérons qu’il pourra remplir pleinement sa mission cette année encore.

*Nos éditeurs et éditrices Julien Del Busso (Del Busso), Olga Duhamel-Noyer (Héliotrope), Antoine Tanguay (Alto) et Geneviève Thibault (Cheval d'Août) ont pris connaissance de cette lettre et l’appuient.

À voir en vidéo