Pour la poursuite d’une politique nordique du Québec

Sans surprise, la politique internationale a à peine été mentionnée au cours de la dernière campagne électorale. Ce n’est pourtant pas parce qu’il ne se passe rien en ce domaine. En fait, la politique internationale du Québec est l’une des plus actives de toutes celles des gouvernements non souverains au monde.
Depuis la fin des années 1960, les gouvernements, tant libéraux que péquistes, en passant par celui de l’Union nationale, ont graduellement donné corps à cette politique, en ont élargi sa portée et ont établi une tradition en cette matière. Le gouvernement Couillard n’a pas fait exception à cette tendance : le premier ministre a multiplié les voyages à l’étranger, tandis que la ministre Christine St-Pierre a publié en 2017 un document d’orientation substantiel et solidement étoffé, couronné par l’ouverture de nouvelles délégations.
Depuis une dizaine d’années, un nouveau volet est timidement apparu, celui du Nord et de l’Arctique, que ce soit en appui au Plan Nord ou dans l’optique d’établir de nouveaux partenariats et de gérer les effets dramatiques du réchauffement du climat. La participation du premier ministre et de nombreux ministres aux réunions annuelles de l’Arctic Circle en Islande illustre bien cet intérêt.
Il faut souhaiter que le nouveau gouvernement caquiste s’inscrive à son tour dans cette tradition. Il est naturellement encore trop tôt pour jauger les intentions du nouveau premier ministre et de sa ministre Nadine Girault en ce domaine, car l’enjeu n’a pas été traité explicitement en campagne électorale. Tout au plus, le candidat Legault avait-il avancé l’idée de rediriger la diplomatie québécoise afin que celle-ci soit d’abord fondée sur des priorités économiques, avec comme objectif d’ouvrir de nouveaux marchés étrangers pour les exportateurs québécois.
De précieuses expertises
Les relations avec les États nordiques répondent certainement à cet impératif commercial, puisque la Russie et les pays scandinaves sont encore — malgré une augmentation notable depuis une décennie — des points de chute marginaux pour les produits québécois. Des avancées bilatérales intéressantes peuvent être observées avec l’Islande et la Norvège entre autres. Mais aussi et surtout, les Québécois peuvent y trouver de précieuses expertises pour mettre en valeur leur propre territoire nordique. La prospérité à long terme du Québec en sera probablement tributaire, mais la mise en oeuvre d’un Plan Nord (ou son équivalent) exigera non seulement des investissements colossaux, mais également un savoir-faire que peuvent offrir les autres sociétés arctiques qui partagent, à bien des égards, une réalité territoriale, environnementale, climatique et urbanistique similaire à celle du Québec.
Mais la politique nordique du Québec, comme l’ensemble de sa politique internationale, ne doit surtout pas se borner à la poursuite d’intérêts économiques. Le Québec est la seule des dix provinces canadiennes qui se déploie au nord de la ligne des arbres, l’un des repères délimitant la région arctique. Le Nunavik est constellé de communautés inuites qui conservent des contacts avec leurs partenaires non seulement du Nord canadien, mais aussi du Groenland et de l’Alaska, et dont les aspirations et les besoins ne peuvent être négligés — comme le rappellent les débats engendrés par l’annulation du projet Apuiat. Plus encore, le gouvernement du Québec doit s’assurer d’être en mesure d’offrir des services sociaux divers sur l’ensemble de son territoire, surtout si les activités économiques et touristiques s’y multiplient. Enfin, la gestion d’une région qui est parmi les premières à subir de plein fouet les conséquences des changements climatiques pose des défis non seulement à caractère environnemental, mais aussi social et technologique.
Besoin de collaboration
Les activités québécoises dans la région arctique sont significatives. Elles s’articulent aussi dans une région où la gouvernance est inclusive et permet à de nombreux acteurs de jouer un rôle stratégique dans les relations arctiques. Les forums multilatéraux qui se penchent et réfléchissent sur cette région font montre d’un esprit d’ouverture sans précédent.
D’autres gouvernements non souverains font preuve d’une activité grandissante ; l’Écosse, par exemple, se positionne de plus en plus comme une société nordique. Les municipalités établies sur le territoire sont également interpellées par les enjeux liés à l’Arctique, alors que les questions d’urbanisme, d’aménagement du territoire, de services sociaux, d’environnement, de sécurité, de relations multiagences les interpellent de plus en plus. Les acteurs non gouvernementaux, comme des compagnies privées, font aussi partie du dialogue arctique et sont appelés à tisser des partenariats d’affaires, mais aussi à définir les règles et les normes qui auront cours à l’avenir.
Cette convergence vient souligner que la diplomatie et l’activité économique ne sont pas dissociables ; une politique internationale axée sur l’atteinte d’objectifs économiques ne peut sous-estimer l’importance du travail diplomatique fait en amont par la diplomatie québécoise. Le faire représenterait une grave erreur d’appréciation de la gouvernance arctique, mais aussi une occasion manquée inestimable.
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