Valoriser les bibliothèques dans un État minimaliste

Depuis plusieurs années maintenant, les bibliothèques publiques ont fait de l’inclusion sociale un objectif essentiel de leur mission.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Depuis plusieurs années maintenant, les bibliothèques publiques ont fait de l’inclusion sociale un objectif essentiel de leur mission.

À l’heure où la population du Québec vient de porter au pouvoir un parti à qui on prête l’intention de diminuer la taille de l’État, on peut se demander quel sort sera réservé aux bibliothèques publiques. Voilà un équipement dont nos gouvernements provincial et municipaux semblent tirer bien peu de bénéfices, si ce n’est un bénéfice symbolique pour les juridictions suffisamment riches pour se payer un concours d’architecture.

Candidate déçue de la CAQ dans Maurice-Richard et s’exprimant au nom de son parti, Manon Gauthier avait pourtant plaidé pour l’instauration d’une loi sur les bibliothèques susceptible de favoriser leur développement. Une telle loi mettrait le Québec au diapason d’autres législations au Canada et ailleurs qui se sont engagées dans la voie de la bibliothèque du XXIe siècle promulguée par l’UNESCO en faisant des bibliothèques publiques des leviers centraux de leurs politiques sociales.

Les enjeux qui confrontent le Québec aujourd’hui, l’intégration des personnes immigrantes et des populations vieillissantes, l’engagement citoyen et la participation, l’alphabétisation et l’inclusion numérique, viennent souligner la pertinence des bibliothèques publiques dans le projet d’amélioration du vivre-ensemble. Ces enjeux économiques et sociaux mettent bien en relief l’importance de ces institutions dans le développement du Québec.

En effet, face à la pénurie de main-d’oeuvre observée dans certains secteurs économiques et certaines régions, les gouvernements, provinciaux et municipaux, auraient avantage à s’appuyer sur l’aide que peuvent leur apporter leurs bibliothèques publiques. La bibliothèque du XXIe siècle est un lieu privilégié pour améliorer l’employabilité des citoyens de tous âges en favorisant leur accès à la connaissance sous toutes ses formes, imprimée, numérique, orale. Les ateliers de formation, les laboratoires ouverts, numériques ou non, le prêt d’outils et d’objets robotisés, le soutien à l’alphabétisation, l’organisation de contenus et d’espaces orientés vers les besoins des populations actives, tous types de dispositifs caractéristiques de la bibliothèque du XXIe siècle, sont autant de leviers pouvant favoriser ce qu’il est maintenant convenu d’appeler, suivant l’UNESCO, un apprentissage « tout au long de la vie » de la population.

Depuis plusieurs années maintenant, les bibliothèques publiques ont fait de l’inclusion sociale un objectif essentiel de leur mission. Pour y arriver, elles ont intégré à leur fonctionnement les meilleures pratiques en matière de développement communautaire et sont devenues de véritables creusets de socialisation pouvant jouer un rôle de premier plan dans l’accueil et la francisation des travailleurs immigrants et de leur famille.

Maillon incontournable

 

En matière d’intégration, la Politique de développement culturel 2017-2022 de la Ville de Montréal est venue expliciter les attentes de l’administration municipale à l’égard de son réseau de bibliothèques. Elles y sont désignées comme un « maillon incontournable […] de l’accueil et de l’intégration des nouveaux arrivants » et l’« espace de francisation par excellence » de cette population (Ville de Montréal, 2017). Par ailleurs, le récent Plan d’action gouvernemental en culture recommande d’« offrir aux personnes immigrantes et aux personnes nouvellement arrivées au Québec un accompagnement en matière de culture dans les bibliothèques municipales ». Les cercles de discussion, les ateliers culinaires, la mise en valeur de contenus culturels représentent autant de chances de réussir l’intégration des personnes immigrantes et leur insertion dans les marchés de l’emploi régionaux.

Le rôle des bibliothèques dans le développement économique et social aujourd’hui est d’autant plus pertinent qu’on y pratique une forme d’hospitalité qui n’a pas beaucoup d’équivalents dans les autres institutions publiques : elles sont gratuites, agréables, situées souvent à distance de marche des lieux de résidence, conçues pour que les usagers les visitent fréquemment et y passent du temps sur une base strictement volontaire. Le réseau que forment les bibliothèques publiques représente donc un relais unique vers l’ensemble de la population québécoise.

Les bibliothèques, plus que toute autre institution, facilitent des interactions récurrentes s’inscrivant dans la durée et susceptibles de contribuer à un approfondissement des liens de confiance entre des personnes d’horizons différents. À ce titre, elles forment une vitrine de l’État bien plus sympathique que ne pourront jamais l’être les hôpitaux, plus intergénérationnelle que les écoles, moins chère que les musées et plus accessible que les grands parcs naturels. Les bibliothèques sont certainement un des plus beaux visages que l’État a à offrir à ses citoyens et citoyennes.

Comment les bibliothèques publiques pourraient-elles jouer ce rôle capital face aux enjeux de l’emploi, de l’intégration et de l’inclusion sans un soutien conséquent de leur développement ? Il est urgent de mener une réflexion sur la responsabilité de l’État et des municipalités quant à la gestion des bibliothèques publiques et sur le rôle social qu’elles sont à même de jouer aujourd’hui. Cette réflexion devrait nous ramener à l’hypothèse d’une loi qui permettrait aux bibliothèques publiques de réaliser leur potentiel et, surtout, de réduire les disparités et les iniquités existant d’une ville à l’autre : entre celles qui considèrent les bibliothèques comme de simples entrepôts de livres et celles qui y voient un espace d’apprentissage et d’inclusion sociale et numérique pour les citoyens du XXIe siècle.

À voir en vidéo