La gouvernance environnementale a besoin d’une commission Parent

Issue du milieu des affaires, MarieChantal Chassé devra appliquer la Loi sur la qualité de l’environnement.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Issue du milieu des affaires, MarieChantal Chassé devra appliquer la Loi sur la qualité de l’environnement.

Madame MarieChantal Chassé,

Votre gouvernement arrive au pouvoir au terme d’un été et d’un automne électoral fort chauds, au moment où le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) sont formels : la vie sur la planète n’a jamais été aussi menacée depuis des millions d’années.

Votre engagement sous serment de faire appliquer la Loi sur la qualité de l’environnement, qui assure à toute personne un droit à la « qualité de l’environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent » vous offre un défi d’autant plus stimulant et important que vous êtes issue des milieux d’affaires, où certains sont de plus en plus conscients qu’une croissance sans limites est impossible sur une planète déjà surexploitée.

Vous avez été témoin, lors de la récente campagne électorale, de la forte mobilisation des citoyens et en particulier des jeunes autour des grands enjeux environnementaux. Tous auront les yeux tournés vers les gestes concrets qui traduiront la vocation fondamentale d’un ministère de l’Environnement digne de ce nom, à savoir qu’il doit être d’abord le gardien impitoyable de la qualité des milieux de vie et le contrôleur vigilant des activités destructrices plutôt qu’un « aidant » des demandeurs de permis de polluer et de dévaster.

Nous espérons donc que votre participation à « l’équipe économique de rêve », formée des ministres des Finances, de l’Économie et de l’Innovation, indiquera sans ambiguïté que la fonction de contrôleur environnemental n’est pas instrumentalisée au profit d’une conception archaïque de l’économie à tout prix.

Des ressources à la hauteur des défis

Heureusement, votre patron et nouveau premier ministre, François Legault, affirme que son gouvernement veut être « à l’écoute des gens », et qu’il a « de sincères préoccupations pour les changements climatiques ». Comme les sondages durant l’élection ont indiqué que la protection de l’environnement se situait en troisième place des préoccupations de la population et que l’environnement est devenu la quatrième priorité du nouveau gouvernement, cela vous confère une responsabilité particulière qui devrait se traduire par une hausse conséquente des budgets faméliques du ministère, lequel arrive au 19e rang sur 20 ministères québécois avec un maigre 0,2 % de l’assiette globale. Le prochain budget du gouvernement Legault offrira donc une mesure objective de l’importance qu’il accorde à l’environnement, une donnée d’autant plus attendue que le programme de votre parti était muet sur cet enjeu.

Vous qui avez oeuvré dans le domaine de l’aviation, une des grandes sources d’émissions de gaz à effet de serre, qu’envisagez-vous concrètement pour engager le Québec dans l’atteinte de ses objectifs de réduction planifiés pour 2020, soit dans deux ans ? Nous vous souhaitons d’avoir la vision et la détermination d’y arriver sans pelleter ce défi aux gouvernements des années 2025-2030. La difficulté sera d’autant plus grande que cet objectif entre en contradiction avec l’ouverture de votre formation politique à l’exploitation des hydrocarbures malgré les vives oppositions citoyennes.

Quant à la possibilité d’engager le Québec dans de nouveaux développements hydroélectriques malgré les surplus actuels, elle entre aussi en contradiction avec les impératifs de la protection de la biodiversité, enchevêtrés aux enjeux climatiques et tout aussi importants. Heureusement, le développement de stratégies centrées sur la résilience des milieux de vie et sur de nouvelles technologies de production d’énergies propres constitue un domaine d’essor économique capable de conférer au Québec un rôle de leader mondial.

Une politique de la biodiversité

 

En plus d’accélérer la transition énergétique, vous pouvez laisser un héritage important en dotant le Québec d’une première politique de protection et de gestion de sa biodiversité, qu’il conviendrait d’amorcer par une audience générique du BAPE. Il est d’autant plus névralgique d’accoucher rapidement de cette politique avant que d’autres promoteurs entreprennent, par exemple, d’assassiner ce qui reste de la biodiversité fluviale par un creusement supplémentaire de l’artère vitale du Québec, le Saint-Laurent, ou encore de compromettre la biodiversité rurale par un usage croissant de pesticides.

Ils seront nombreux ceux qui voudront, dans l’appareil gouvernemental, confiner votre ministère au rôle de balayeur derrière les pelles mécaniques et les gros camions, alors que c’est plutôt votre rôle de statuer sur la pertinence et la légitimité de ces projets, de même que sur leur emplacement et leurs impacts cumulatifs. Or, ce pourrait bien être les mêmes promoteurs qui voudront réduire l’accès des citoyens à votre registre public des projets et qui vont s’appuyer sur des comités ministériels de facilitation avant même qu’une évaluation indépendante par le BAPE ait pu être réalisée. Ces vieilles pratiques gouvernementales, ces négations de véritables consultations publiques, ces manques de transparence et d’équité, nous vous souhaitons de pouvoir les mettre au rancart dans le cadre de cette nouvelle gouvernance que votre équipe entend instaurer.

Pour y arriver, il serait sans doute pertinent, après 40 ans d’une gestion insuffisante et inadéquate des enjeux environnementaux, que vous lanciez une sorte de commission Parent sur la gouvernance environnementale au Québec afin de redéfinir la place et le rôle que doit assumer votre ministère dans l’appareil d’État. Au Québec, le Conseil du trésor harmonise, contrôle et oriente la gestion de l’ensemble des fonds publics à l’échelle gouvernementale. Dans la même logique de cohérence et d’efficacité, il serait temps que le Québec songe à se doter de moyens organisationnels et financiers pour orienter, harmoniser et surtout contrôler dans une perspective de bien commun les divers aspects environnementaux de l’ensemble de l’activité gouvernementale. L’atteinte d’un tel objectif commande un large débat public sans lequel il est illusoire de penser que l’environnement et la place de votre ministère se retrouveront en tête de la liste de priorités politiques.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

À voir en vidéo