Limitons les pouvoirs législatifs du Sénat

Les auteurs de ce texte estiment que les procédures parlementaires devraient être modifiées pour restreindre les pouvoirs législatifs des sénateurs, comme ce fut le cas en Angleterre il y a plus de 100 ans.
Photo: Geoff Robins Agence France-Presse Les auteurs de ce texte estiment que les procédures parlementaires devraient être modifiées pour restreindre les pouvoirs législatifs des sénateurs, comme ce fut le cas en Angleterre il y a plus de 100 ans.

Depuis maintenant plus de deux ans, 43 nouveaux sénateurs ont été nommés au Sénat par le premier ministre Justin Trudeau. Au début de son mandat, le gouvernement libéral a réformé le processus de nomination des sénateurs : les nominations sont depuis basées sur les recommandations d’un comité consultatif indépendant. Cette réforme a déjà eu un certain impact sur le comportement législatif des sénateurs. Ils font généralement preuve de plus d’indépendance vis-à-vis du gouvernement et sont beaucoup plus actifs. Néanmoins, nous sommes d’avis que des changements permanents devraient être apportés à l’organisation du Sénat pour limiter les pouvoirs législatifs des sénateurs et conférer plus de légitimité à cette chambre.

Un petit nombre de nouveaux sénateurs ont formé en mars 2016 un Groupe des sénateurs indépendants (GSI), auquel se sont joints plusieurs autres sénateurs affiliés, par le passé, aux Parti conservateur et Parti libéral. Aujourd’hui, le GSI constitue presque une majorité à la Chambre haute : il compte 47 des 105 sièges. On dénombre par ailleurs 31 sénateurs conservateurs, 8 non affiliés et 10 sénateurs libéraux, qui continuent de revendiquer leur filiation avec ce dernier parti, même s’ils ont été expulsés du caucus par Justin Trudeau en 2014.

La réforme du processus de nomination des sénateurs n’a toutefois rien changé de la portée du pouvoir législatif de cette chambre. En fait, le Sénat possède les mêmes pouvoirs législatifs que la Chambre des communes. Qui plus est, nos analyses confirment que les sénateurs nouvellement indépendants appuient les projets de loi du gouvernement beaucoup plus souvent que les autres sénateurs. Jusqu’à maintenant, les sénateurs du groupe indépendant ont proposé d’amender plusieurs projets de loi controversés, comme celui sur le cannabis et sur l’élargissement de l’oléoduc Trans Mountain. Or, ils ont ultimement accepté d’adopter les projets de loi de la Chambre des communes lorsque leurs amendements y ont été rejetés. Une convention selon laquelle le GSI doit au final appuyer les projets de loi d’initiative ministérielle serait donc en train de s’établir.

La loi n’a pas été modifiée

Cette nouvelle configuration partisane a nécessité la modification des règles de fonctionnement du Sénat, mais seulement sur une base temporaire ou ad hoc. La Loi du Parlement du Canada n’a pas encore été modifiée pour permettre officiellement au Groupe des sénateurs indépendants d’obtenir les mêmes privilèges et ressources que le parti qui contrôle une majorité des sièges dans cette chambre, ou même que l’opposition officielle. Pour toutes ces raisons, il est probable que le gouvernement ou les sénateurs proposent de modifier la Loi du Parlement du Canada pour refléter cette nouvelle réalité avant le déclenchement des prochaines élections. Si ce n’est pas fait, le GSI pourrait perdre certains privilèges parce qu’ils ne sont pas reconnus officiellement dans le règlement des procédures de la Chambre haute.

Nous croyons que la modification de la Loi du Parlement du Canada et des règlements du Sénat offrirait une occasion intéressante d’augmenter la légitimité du Sénat dans le système parlementaire canadien, notamment en limitant ses pouvoirs législatifs. Il est souhaitable que les sénateurs conservent le pouvoir d’amender et de bloquer des projets de loi, qu’ils émanent du gouvernement ou des députés, mais il est essentiel qu’ils exercent ces pouvoirs sans menacer la suprématie de la Chambre des communes et sans s’opposer à la volonté populaire.

Un précédent britannique montre qu’il est possible de limiter officiellement les pouvoirs législatifs d’une Chambre haute. En 1911, une loi du Parlement britannique a enlevé aux Lords la capacité d’amender tous les projets de loi du gouvernement liés au budget, en plus de réduire leur possibilité de bloquer des projets de loi en cas de désaccord avec la Chambre des communes pour une période maximale de deux ans (raccourcie à un an en 1949).

Malgré le fait que de telles réformes nécessiteraient probablement une modification constitutionnelle au Canada, il est tout de même possible d’encadrer le pouvoir législatif des sénateurs en modifiant simplement les procédures législatives de cette chambre. Les sénateurs pourraient décider, par exemple, de changer les Règlements du Sénat pour limiter la portée de leurs amendements ou la durée consacrée à l’étude des projets de loi du gouvernement.

Nous croyons qu’il est nécessaire de faire ces changements rapidement, car le Sénat est de plus en plus actif au Parlement. N’ayant pas été mis en poste par des élections, les sénateurs ne sont pas directement redevables envers les Canadiens : ils ne devraient donc pas avoir le pouvoir constitutionnel de bloquer les lois adoptées par la Chambre des communes. La convention qui semble exister aujourd’hui et qui empêche les sénateurs d’exercer un droit de veto n’offre aucune garantie de pérennité.

À défaut d’abolir le Sénat, ou de permettre l’élection de ses membres, nous sommes d’avis que les procédures parlementaires devraient être modifiées pour restreindre les pouvoirs législatifs des sénateurs, comme ce fut le cas en Angleterre il y a plus de 100 ans. Le Sénat ne sera que mieux en mesure de remplir son mandat originel qui, selon la Cour suprême du Canada, est de constituer « un corps législatif complémentaire chargé de donner un second regard attentif aux projets de loi ».

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