Pas de solution magique aux fausses nouvelles

Plusieurs s’inquiètent de l’impact de cette désinformation sur la qualité de notre expérience démocratique que mettrait déjà en péril l’infrastructure technique de la Toile en nous alimentant d’information reflétant nos préférences et en nous enfermant ainsi dans des chambres d’échos.
Photo: iStock Plusieurs s’inquiètent de l’impact de cette désinformation sur la qualité de notre expérience démocratique que mettrait déjà en péril l’infrastructure technique de la Toile en nous alimentant d’information reflétant nos préférences et en nous enfermant ainsi dans des chambres d’échos.

Extraits condensés de l’introduction de l’ouvrage Les fausses nouvelles, nouveaux visages, nouveaux défis, publié cette semaine aux Presses de l’Université Laval, sous la direction de Florian Sauvageau, Simon Thibault et Pierre Trudel.

Réglons d’entrée un problème de vocabulaire. Les fake news, cette expression que Donald Trump a largement contribué à propager, ne sont pas tout à fait des fausses nouvelles. En anglais, on distingue les fake news (des « imitations » ou « simulacres » de nouvelles) des false news (des nouvelles inexactes ou erronées). En français, on ne fait pas la distinction. On parle, globalement, de fausses nouvelles, une traduction imparfaite de fake news, mais que nous retenons parce que le terme est largement répandu… et faute de mieux.

Essayons de préciser les contours de l’expression. Le terme fake news est un concept polysémique et politiquement controversé. Le journaliste canadien Craig Silverman, longtemps basé à Montréal, serait à l’origine de la propagation récente de cette notion qu’il se souvient d’avoir utilisée pour la première fois dans un tweet le 14 octobre 2014. Il dénonçait alors la fausse nouvelle d’un site de fake news, le nationalreport.net, qui annonçait la mise en quarantaine d’une ville du Texas après qu’une famille eut prétendument contracté l’Ebola, un virus fort contagieux qui a fait des milliers de morts lors d’une épidémie en Afrique de l’Ouest de 2014 à 2016.

Le travail de Silverman sur les fausses nouvelles était à cette époque peu connu. Cette situation changea à l’automne 2016 après ses articles fracassants sur l’ampleur de ce phénomène sur Internet dans le cadre de l’élection présidentielle américaine. Depuis, Donald Trump, lui-même pécheur impénitent et coupable de milliers d’affirmations fausses depuis son assermentation, a fréquemment utilisé cette formule sur Twitter ou en entrevues, en en changeant le sens, et pour attaquer les médias et les journalistes qui, à ses yeux, produisaient des reportages erronés ou orientés.

En vérité, une grande confusion règne autour de ce concept dont on parlait peu avant l’arrivée de Trump au pouvoir. En avril 2018, un sondage effectué aux États-Unis par la Monmouth University révélait que 25 % des répondants jugeaient que le terme fake news s’appliquait « seulement aux histoires où les faits sont faux », alors que 65 % jugeaient que cela s’appliquait aussi « à la façon dont les médias d’information prennent des décisions éditoriales sur ce qu’ils choisissent de rapporter ». On peut se demander si l’interprétation que colporte Donald Trump ne se reflète pas en partie dans les résultats de cette enquête et dans la compréhension que le public américain a des fake news.

Au-delà de leur popularité et de leurs mutations récentes sur Internet, les fausses nouvelles restent toutefois un vieux phénomène. Aux États-Unis, des canulars et des histoires abracadabrantes et forgées de toutes pièces, publiées notamment dans les tabloïds vendus dans les supermarchés, ont marqué l’histoire du journalisme. Les fausses nouvelles ont aussi été au coeur de campagnes de propagande pour servir les intérêts d’acteurs politiques, militaires et autres. De fait, l’histoire du XXe siècle fournit, lors des conflits, maints exemples d’opérations de propagande et de fausses histoires destinées soit à conforter l’opinion publique, soit à faire peur à l’adversaire.

Mais si le débat d’aujourd’hui se situe dans une perspective historique certaine, les défis que pose la transmission rapide de quantités énormes de messages à des milliers de personnes (notamment grâce à des robots ou bots) exigent de nouvelles réponses. Plusieurs s’inquiètent de l’impact de cette désinformation sur la qualité de notre expérience démocratique que mettrait déjà en péril l’infrastructure technique de la Toile en nous alimentant d’information reflétant nos préférences et en nous enfermant ainsi dans des chambres d’échos. D’autres avancent que la multiplication des fausses nouvelles, répandues par les trolls et les bots à la solde d’acteurs aux visées partisanes, idéologiques et géostratégiques, menacerait l’intégrité de nos consultations démocratiques, comme lors de l’élection américaine de novembre 2016.

Journalistes et universitaires

 

Qu’en est-il ? Les fausses nouvelles constituent-elles le danger annoncé ? Comment contrer le phénomène ? Faut-il faire confiance à Facebook et à ses semblables qui réitèrent régulièrement leurs promesses de limiter la diffusion des fausses nouvelles ? Quel est le rôle des journalistes ? Les rubriques de vérifications des faits mises en place par plusieurs médias sont sans doute utiles, mais cela ne suffit pas. À l’ère des robots, des usines à rumeurs et des masses d’information, les journalistes doivent repenser leurs méthodes. Craig Silverman plaide, par exemple, pour une collaboration accrue des journalistes et des universitaires et considère « l’apport de la recherche et de l’informatique indispensable à sa démarche journalistique ».

Faut-il souhaiter l’intervention de l’État, comme en Allemagne et en France ? Si oui, comment le faire sans restreindre la liberté d’expression et verser dans la censure ? Qui décidera qu’une nouvelle est fausse ou pas ? En France, le projet de loi sur la manipulation de l’information a donné lieu à de nombreuses critiques, notamment dans la presse. En juin dernier, le journal Le Monde a coiffé un éditorial de son directeur du titre « Loi sur les fake news : la confiance dans l’information ne se décrète pas ». Il faut en effet plutôt fournir au citoyen des outils lui permettant de déterminer lui-même la valeur de l’information qu’on lui propose. Les programmes d’éducation aux médias vont dans ce sens. Au Québec, il reste à adapter ces programmes aux nouvelles façons de s’informer et à leur accorder l’importance et les ressources qu’exigent les nouveaux visages de la manipulation de l’information. En sachant bien qu’il n’y a pas de solution magique au problème des fausses nouvelles.

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