Rétablir un climat plus sain en santé

Pourquoi un si grand nombre de mes patients qui travaillent dans le secteur des soins de santé dans la région de Montréal éprouvent-ils un inquiétant niveau de troubles émotifs ? Leurs histoires sont surprenantes et illustrent à quel point nos professionnels et non-professionnels de la santé ont été affectés par la réforme du projet de loi no 10 du ministre Gaétan Barrette.
Employée dans un grand CHSLD, une infirmière se présente à mon bureau pour consultation et, dès la porte fermée, éclate en sanglots. Son stress était palpable. Elle déplorait les quarts de travail supplémentaires pour remplacer des collègues se déclarant malades, les heures supplémentaires accrues à cause d’une pénurie de personnel, la réduction à une demi-journée par semaine de la disponibilité directe du médecin, l’augmentation des responsabilités de garde et de soins, le temps toujours plus court à consacrer aux personnes qui en ont besoin, et les attitudes de découragement de ses collègues. Elle disait se sentir si épuisée qu’elle parvient à peine à prodiguer des soins adéquats. Les collègues proches de la retraite sont impatients de partir. Le moral du personnel est si bas qu’un climat de désarroi domine. Les congés de maladie explosent. Scandalisées par ces changements, les familles des patients se plaignent amèrement.
Cette infirmière exprimait un sentiment d’abandon par les gestionnaires locaux autrefois d’un grand soutien, estimant que la gestion très élargie du CIUSSS « ne semble plus se soucier des patients ». Les solutions proposées sont souvent rares du fait que les postes de gestion locale ont été soit abolis, soit transférés dans un autre secteur. Trouver un ou une responsable lorsqu’un problème surgit est devenu un nouveau défi, souvent frustrant.
Ce même désarroi règne hélas parmi trop d’employés de nos établissements publics de soins de santé. Certains se résignent, d’autres tentent de faire face, tandis que d’autres encore sont inaptes à s’adapter aux nouveaux problèmes et tombent malades. Beaucoup souhaitent changer d’orientation professionnelle… sachant que cela pourrait être irréaliste. Même les cadres supérieurs ressentent les effets dévastateurs, sur nos établissements, de la centralisation des pouvoirs engendrée par le projet de loi no 10 concernant les soins de santé au Québec.
Au-delà de l’énormité des changements imputables à la Loi modifiant la gouvernance du réseau de santé en abolissant les agences régionales, les conséquences humaines directes de la réforme ont été, selon moi — à titre d’ancien directeur des services professionnels d’un grand CHSLD de Montréal —, négligées et sous-évaluées, ce qui est franchement déplorable.
La réforme la plus impopulaire
Six réformes profondes des soins de santé ont été mises en oeuvre depuis 1989 par les ministres de la Santé successifs, de Marc-Yvan Coté, Jean Rochon, Philippe Couillard, Yves Bolduc, Réjean Hébert jusqu’à Gaétan Barrette, notre ministre actuel. M. Barrette occupe la peu enviable première place du groupe en ayant institué la réforme des soins de santé la plus impopulaire et la plus autocratique de ces 30 dernières années.
Le premier ministre, Philippe Couillard, a annoncé que M. Barrette quittera son poste de ministre de la Santé. En fait, l’impopularité de ce ministre aurait fort probablement conduit à la défaite électorale de M. Couillard. Le style de leadership et les pratiques de négociation effrontées de M. Barrette ont laissé un arrière-goût très désagréable.
Cette suite de transformations successives du système, négligeant quasi totalement les conséquences sur les fournisseurs de soins de santé et, par ricochet, sur les soins aux patients, ont littéralement anéanti les incitatifs aux personnes et aux équipes qui permettaient à certains de nos établissements de se distinguer. Nous avons nivelé par le bas de si nombreux excellents petits centres de soins en supprimant leurs administrateurs et avons centralisé les décisions de gestion à un incroyable niveau de médiocratie. Ces grands centres intégrés contrôlent à présent tous les aspects des soins de proximité et rendent compte directement au ministre.
Bien qu’une approche ministérielle centralisée soit primordiale pour la santé publique, la répartition du personnel médical et des services, les directives et budgets globaux relatifs à la technologie et à l’informatique au niveau provincial, la tentative de microgérer tous les aspects des soins de proximité et régionaux s’est traduite par la démoralisation d’un très grand nombre de nos fournisseurs de soins professionnels et non professionnels.
Il y a la possibilité maintenant que le prochain ministre de la Santé fasse amende honorable. Il pourrait favoriser le développement d’une expertise locale et régionale ; adapter les soins à la situation démographique de chaque collectivité ; permettre et encourager les initiatives régionales de la santé de façon à répondre aux réalités sociales sur le terrain ; restaurer, en tout ou partie, la gouvernance locale qui gratifie les établissements les plus innovateurs et les plus productifs ; procurer aux gestionnaires des ressources à partager et permettre à ceux-ci d’agir comme conseillers auprès des personnes qui ont besoin d’aide ; faire en sorte que nos meilleures pratiques soient disséminées à travers la province.
Mettre fin à cette ambiance de malaise créée par la réforme de M. Barrette doit être une priorité. Nous devons rétablir un climat plus sain et plus collaboratif dans nos établissements de soins de santé. Nos fournisseurs de soins méritent mieux. Le temps est venu de transmettre ce message à celle ou celui qui sera le prochain ministre de la Santé du Québec.