Robert Lepage, René Lévesque et Mary Two-Axe Early

Sébastien Brottet-Michel et Robert Lepage lors de répétitions de la pièce «Kanata», en février 2018
Photo: Michèle Laurent Sébastien Brottet-Michel et Robert Lepage lors de répétitions de la pièce «Kanata», en février 2018

Avant-hier, j’écoutais le comédien Yves Jacques aux nouvelles, qui, parlant de son ami Robert Lepage, disait que « les communautés noire et autochtone de Montréal ont tiré sur leur messager, leur meilleur messager mondial ». Je dois dire que je ne suis pas d’accord avec cette affirmation. Dans le cas de Kanata, les Autochtones n’ont pas « tiré » sur Robert Lepage, ils l’ont interpellé. Et moi, je ne suis pas du tout convaincue que Robert Lepage est notre « meilleur messager mondial ».

Ça m’a fait penser à Mary Two-Axe Early, une Mohawk de Kahnawake, militante des droits des femmes autochtones, et au premier ministre du Québec de l’époque, René Lévesque, qui, lors d’une conférence constitutionnelle en 1982, voyant que les autres premiers ministres refusaient le droit de parole à Mary, lui avait cédé son siège, lui permettant ainsi de livrer son message concernant les revendications des femmes autochtones… J’y reviendrai.

Mais tout comme Yves Jacques, moi aussi je suis triste, mais pas pour les mêmes raisons. Je suis triste de lire tous ces commentaires méprisants sur les réseaux sociaux et ces jugements à l’emporte-pièce, je suis découragée de lire et d’entendre les amalgames pernicieux et les comparaisons sordides liées à l’affaire Kanata. (Le fait que ça arrive juste après la controverse autour de SLĀV ne vient pas simplifier les choses. Les esprits étaient déjà échauffés, et les gens mêlent les deux affaires. On nous accuse de censure, d’assassinat, rien de moins.)

J’ai trouvé triste d’entendre Yves Jacques, un comédien que j’admire, se demander s’il peut jouer le rôle du frère Marie-Victorin parce qu’il est homosexuel et non croyant. Je trouve ça triste, car il ne réalise pas que ça n’a aucun rapport. Car ce dont il est question ici, c’est l’histoire du Canada « à travers le prisme de nos relations » racontée, encore une fois, par un non-Autochtone ; et des Autochtones qui lui disent que cela leur cause préjudice et qu’ils auraient voulu faire partie du processus, et ce, d’une façon ou d’une autre. Et en passant, personne n’a dit à Ariane Mnouchkine et Robert Lepage de se taire. Au contraire, il y a eu une rencontre, des discussions, et même si cela n’a pas été concluant, tout s’est passé de manière civilisée. Personne n’a injurié l’autre.

Je ne parle pas d’appropriation culturelle, je parle d’une réalité qui est connue et maintenant reconnue : l’histoire du Canada a été déformée par la société dominante, et ça, les Autochtones en ont assez. Nous demandons d’être inclus dans cette relecture de l’histoire, notre histoire commune.

D’ailleurs, le refus du Conseil des arts du Canada de financer le projet Kanata était déjà un signal clair que les temps ont changé. On ne peut plus faire comme dans l’ancien temps et parler des Autochtones à travers le prisme d’une vision à sens unique.

La directrice du Théâtre du Soleil, Ariane Mnouchkine, disait en entrevue qu’elle souhaitait que nous nous réjouissions du fait que son théâtre s’intéresse à nous et que c’était un « hommage » qu’on voulait rendre aux Premières Nations.

De grâce, si vous voulez nous rendre hommage, ne le faites pas en jouant aux Indiens, mais faites-le en jouant avec les Indiens !

Oui, vous avez le droit de faire jouer qui vous voulez, mais à ce que je sache, quand des comédiens se préparent pour un rôle, ils font une recherche, ils étudient les personnages. Où donc ces comédiens français ont-ils fait leurs recherches ? Est-ce Robert Lepage qui leur a transmis « ses connaissances » ? Il me semble que la troupe du Théâtre du Soleil aurait pu bénéficier d’un partenariat avec des Autochtones… et vice-versa.

Je ne parle pas non plus de proportion d’acteurs autochtones, cela est futile.

Ce dont je parle, c’est du fond de l’affaire : un homme de théâtre, une sommité, un génie, qui dit comprendre… mais qui agit comme s’il ne comprenait pas ce qui se passe chez les Premières Nations ; à savoir qu’il existe une nouvelle génération d’Autochtones qui s’affirment avec le mouvement Idle No More, des femmes autochtones qui dénoncent la violence et les injustices, des cinéastes qui, par leurs films, ouvrent les portes d’un univers complexe, des écrivains, écrivaines, poètes et poétesses qui prennent la parole. Ils et elles sont là, ils et elles existent, et tous et toutes demandent à être écoutés et surtout à être entendus. Ils disent qu’ils peuvent très bien porter leur message eux-mêmes, qu’ils n’ont pas besoin de messagers, qu’ils ont besoin d’alliés. C’est ce qui a été dit à Robert Lepage. Il a écouté, mais il n’a pas entendu. A-t-il voulu entendre ? Je me pose la question. En fait, je me pose plusieurs questions…

Comment se fait-il que Robert Lepage, qui dit avoir plusieurs amis chez les Premières Nations, n’ait jamais eu le réflexe de parler à ses amis autochtones dès le départ quand il a fait cette proposition à Ariane Mnouchkine ?

Comment se fait-il que cet homme intelligent, un artiste sensible, n’ait pas pensé à ce que cela risquait de provoquer chez ses amis des Premières Nations ?

Sans avoir à demander la permission, il aurait pu valider certaines choses, sachant que l’interprétation de notre histoire est un sujet délicat et que l’époque des pensionnats indiens a laissé de graves séquelles, des blessures profondes, que les plaies sont encore vives et que la question des femmes autochtones assassinées ou disparues est extrêmement douloureuse pour les familles et l’ensemble des Premières Nations.

Monsieur Lepage a dit, dans une longue entrevue qu’il a accordée à Stéphan Bureau sur les ondes de Radio-Canada la semaine dernière, qu’il avait peut-être commis une erreur de jugement.

Je crois qu’effectivement il a commis une erreur de jugement en se croyant au-dessus de la situation et en croyant qu’il pouvait se passer des Premières Nations en allant raconter notre histoire aux Français. Il a agi avec maladresse.

Aussi, je suis un peu mal à l’aise devant ses demi-vérités : quand il a affirmé n’avoir bénéficié d’aucuns fonds publics pour ce projet, il n’a pas mentionné qu’il avait pourtant fait une demande au Conseil des arts et que celui-ci a refusé justement parce qu’il n’y avait aucun apport des Premières Nations dans le projet. Quand il a dit qu’il avait consulté des Autochtones, il a omis de dire que ce n’étaient pas des consultations sur le fond. Il a aussi omis de dire que certains l’avaient averti que cela poserait problème.

Robert Lepage a été l’artisan de son propre malheur.

Mais, semble-t-il, tout espoir n’est pas perdu, l’art survivra ! Et les Lepage, Mnouchkine et artistes des Premières Nations trouveront une voie commune.

Robert Lepage a indiqué aux artistes des Premières Nations que les portes du Diamant, son théâtre à Québec, leur seront ouvertes. Le Théâtre du Soleil dit qu’il répondra par « les armes non violentes de l’art théâtral ».

Finalement, cette saga se solde par l’affirmation d’une volonté de part et d’autre d’une meilleure communication, et il y aurait probablement possibilité de futurs projets en partenariat. Ça ressemble pas mal à ce qui avait été demandé par les signataires de la lettre au départ…

Pour finir mon anecdote sur Mary Two-Axe Early et René Lévesque : ils sont devenus en quelque sorte des complices dans la lutte pour les femmes autochtones. Mary, qui parlait l’anglais (et le mohawk), disait de lui, avec fierté : « my friend René Lévesque ». Tous deux avaient un grand respect l’un envers l’autre. Et, pour la militante mohawk Mary Two-Axe Early, René Lévesque n’était pas un messager… il était son allié.

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