Équité et humanité pour les familles d’enfants handicapés

J’ai le grand privilège de travailler tous les jours avec des héros. Ce ne sont pas des athlètes, ni des vedettes, ni des surdoués. Pourtant, tous les jours ils accomplissent des exploits et mènent une vie hors du commun.
J’évalue et traite plus d’un millier d’enfants qui vivent avec un handicap, et j’accompagne leurs familles tout au long de leur cheminement. Je ne peux qu’être admiratif devant la force, le courage, la détermination, l’engagement, la discipline, l’énergie et l’amour dont ils font preuve. Au-delà de la difficulté énorme de vivre au quotidien avec des limites et des incapacités physiques, motrices, sensorielles, cognitives, comportementales, de celle d’avoir des obstacles sociaux et environnementaux souvent insurmontables, plusieurs ont aussi des problèmes médicaux qui nécessitent des soins exceptionnels, des hospitalisations, des chirurgies, la prise de nombreux médicaments, l’ajustement et l’installation d’appareils et d’équipements ainsi que la mise en place de lourds plans d’intervention qui incluront des thérapies régulières dans plusieurs disciplines, des séances d’étirements ou d’exercices à la maison, de gavage, etc.
D’innombrables parents doivent ainsi se lever bien plus tôt que le commun des mortels. Parce que l’autobus qui ira conduire leur enfant à l’école spécialisée arrive à 6 h 30 à la maison et qu’auparavant, il faudra lui avoir donné ses médicaments, l’avoir habillé, appareillé, nourri (souvent par gavage), installé dans son fauteuil. Des milliers de parents doivent également cesser de travailler ou alléger leurs horaires de travail pour simplement s’occuper des soins de santé et de réadaptation de leurs enfants et se présenter aux nombreux rendez-vous. Ils ont d’énormes pertes de revenus et doivent en plus puiser dans leurs poches déjà bien vides pour des tonnes de médicaments, de thérapies, d’adaptations, de transports, de stationnements qui ne sont souvent malheureusement que très partiellement couverts par notre société ou leurs assurances. En effet, bien que les soins de réadaptation soient théoriquement payés par la RAMQ au Québec, les listes d’attente pour les thérapies jugées essentielles et urgentes sont souvent tellement longues et les services donnés sont si faiblement « saupoudrés » que les parents doivent souvent assumer les frais de nombreuses thérapies en clinique privée.
D’autres parents ont des enfants « moins sévèrement atteints » selon les critères gouvernementaux. Pourtant, lorsque, par exemple, un enfant présente un trouble du spectre de l’autisme et a des problèmes de comportement suffisamment importants pour qu’il ne puisse aller à la garderie ou même à l’école, un des deux parents devra, encore là, s’abstenir de travailler pour répondre à tous ses besoins… et cela, souvent pour la vie.
Laissées à elles-mêmes
Lorsqu’une famille est épuisée physiquement, financièrement, le gouvernement lui offre la possibilité de placer l’enfant dans une famille d’accueil qui se verra verser en moyenne 44 000 $ par an. Mais l’aide financière apportée aux familles naturelles qui ont un enfant vivant avec un handicap est une fraction de ce montant. Jusqu’à tout récemment, ces familles ne recevaient que 192 $/mois du gouvernement du Québec. La majorité ne reçoit encore que cette somme. Toutefois, depuis deux ans, le gouvernement a accepté de bonifier son aide de 962 $/mois pour les familles d’enfants qui ont des atteintes très sévères. C’est déjà un beau pas dans la bonne direction, mais l’octroi de ce SEHNSE (supplément pour enfant handicapé nécessitant des soins exceptionnels) se fait de façon très parcimonieuse et c’est la loi du tout ou rien. La famille dont l’un des parents doit laisser son emploi parce que l’enfant a trop de rendez-vous, est trop malade ou est incapable de fréquenter une garderie ou l’école n’aura droit qu’à la petite allocation de 192 $/mois si l’enfant ne répond pas aux critères du SEHNSE. La majorité des familles sont ainsi laissées à elles-mêmes.
Il m’apparaît essentiel, pour des raisons de parité, d’équité et d’humanité, que tout soit mis en oeuvre pour que toutes les familles d’enfants qui ont des besoins particuliers puissent recevoir un soutien financier équitable, qui prend en compte l’ensemble de leurs besoins et qui est ajusté selon ces derniers. Déjà, les familles d’accueil reçoivent une rétribution qui est calculée en fonction de la lourdeur de l’atteinte et des besoins des enfants. Une grille d’évaluation est déjà utilisée à cet effet et devrait l’être tout autant pour les familles naturelles.
Nous avons des milliers d’héroïnes et de héros au Québec. Des enfants, des parents, des familles entières. Ils vivent dans l’ombre, mais ils méritent notre admiration et notre soutien. Nous ne pouvons malheureusement faire disparaître leurs incapacités, leurs limites. Nous avons toutefois l’obligation de leur offrir des services appropriés et le soutien financier dont ils ont besoin.