Les destins contrastés d’Accurso et de SNC-Lavalin

SNC-Lavalin a bénéficié d’ententes particulières en échange de sa collaboration avec les procureurs, selon l'auteur.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne SNC-Lavalin a bénéficié d’ententes particulières en échange de sa collaboration avec les procureurs, selon l'auteur.

Le magnat de l’empire de la construction au Québec, propriétaire des entreprises Louisbourg et Simard-Beaudry et partenaire de la Caisse de dépôt et du Fonds de solidarité, vient d’être condamné à quatre ans de prison pour sa participation au système de corruption à la Ville de Laval. Mais bien avant la sentence prononcée par le juge James Bronton, le marché avait déjà sévèrement puni — sur le plan économique — les entreprises du géant de la construction aujourd’hui déchu. Autrefois à la tête d’un empire de 4500 personnes avec un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard par an, Tony Accurso est maintenant près de la faillite. La réputation de son entreprise est détruite ; à jamais associée à la corruption et à la collusion.

Le sort réservé aux firmes détenues par Accurso est fort différent de celui d’un autre champion national : SNC-Lavalin, qui, dans des affaires de corruption au Bangladesh, au Cambodge, en Libye et au Québec, a échappé à la sanction des tribunaux et bénéficié d’ententes particulières en échange de sa collaboration avec les procureurs. L’entreprise a dû verser d’importantes sommes d’argent aux autorités en guise de punition, mais elle a néanmoins pu protéger ses précieux contrats publics.

En réponse au lobby de SNC-Lavalin et du monde des affaires, le gouvernement fédéral vient d’adopter les « accords de poursuite suspendue » (APS) permettant aux entreprises corrompues d’éviter les poursuites pénales lorsqu’elles admettent les faits et paient une sanction financière. De la même façon, à Québec, le Programme de remboursement volontaire (PRV), administré par le juge François Rolland, a permis aux entreprises comme SNC-Lavalin d’éviter la justice et de continuer à faire affaire avec tous les gouvernements. Le juge Rolland, qui remettait son rapport final récemment, a décrit le PRV comme une nouvelle forme de « justice participative » pour les entreprises touchées par la corruption. À Ottawa, le gouvernement présente les APS comme une « déjudiciarisation » de la criminalité d’entreprise. Dans son rapport final, la commission Charbonneau recommandait elle aussi l’adoption de « programmes d’immunité et de clémence » pour les personnes morales impliquées dans la corruption.

La carotte et le bâton

 

L’ajout d’approches volontaires comme les APS et le PRV dans le coffre à outils de la lutte contre la corruption d’entreprise constitue un changement significatif dans un secteur jusqu’ici habitué au seul « bâton » de la sanction par le droit criminel et les tribunaux. Selon la théorie économique, la « carotte » de la suspension des poursuites pénales modifie la « structure des incitatifs » et devrait renforcer la culture éthique des entreprises, car pour éviter les tribunaux, les dirigeants doivent divulguer d’eux-mêmes la corruption dans leurs rangs et s’engager à mettre en place d’exigeants programmes d’intégrité et de conformité. Mais pour que ces réformes puissent réussir, la menace de la poursuite et de la sanction par les tribunaux doit être crédible. Pour produire l’effet anticipé, la « carotte » doit pouvoir compter sur la crainte du « bâton ».

Or, le jugement rendu récemment dans le cas Accurso semble, à première vue, bien remplir cette condition. Une peine de quatre ans, la destruction d’une réputation et d’un fleuron du Québec inc. soutenu par le patronat, l’État et les syndicats envoient un message dissuasif non équivoque. La corruption ne paie pas, et le « bâton » de la justice punit durement les entreprises qui ne font pas d’elles-mêmes les premiers pas pour dénoncer la corruption en leur sein. SNC-Lavalin a choisi la voie de la collaboration, Tony Accurso a pris la voie contraire et refusé d’admettre les faits.

La sanction prononcée par le juge Bronton élève la barre de la lutte contre la corruption d’entreprise au Québec et au Canada. Mais du point de vue de la politique publique, il est préférable que les entreprises aux prises avec des problèmes de corruption finissent comme SNC-Lavalin, et non l’empire Accurso. Personne ne souhaite la perte d’un champion national qui crée de la richesse et de l’emploi. Les nouvelles approches de divulgation volontaire comme les APS et le PRV peuvent éviter un tel « dommage collatéral » et mieux équilibrer les objectifs de lutte contre la corruption et les intérêts économiques.

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