Paul Gérin-Lajoie, un maître parmi les maîtres

Pour une majorité de Québécois et de Québécoises, le décès de Paul Gérin-Lajoie ne sera rien de plus qu’un fait divers. Fera-t-on le lien entre le nom d’écoles polyvalentes, d’une dictée et d’une doctrine avec celui du disparu, qu’on ignorera généralement l’oeuvre exceptionnelle d’un géant de notre histoire nationale. Ce n’est pas sans raison que les médias et le monde politique rendent un hommage hors du commun à un quasi-centenaire dont la contribution exceptionnelle a orienté la marche du Québec.
Je suis un rare survivant de cette période d’effervescence qui a donné lieu, comme une des principales manifestations de la révolution dite tranquille, à la plus importante mobilisation collective à la faveur de l’éducation (la Commission royale d’enquête sur l’éducation, appelée commission Parent), à la prise en charge de l’éducation par l’autorité politique (en relève à l’Église catholique et au clergé), à la création du ministère de l’Éducation (contre des résistances multiples, notamment celles des évêques habitués à la mainmise sur le système), à la démocratisation d’un régime scolaire si arriéré qu’il plaçait le Québec à la traîne canadienne quant au niveau de scolarisation et de diplomation de sa population.
D’autres proches collaborateurs de PGL, plus âgés que moi, pourraient apporter un éclairage assuré à la connaissance de l’homme qui vient de nous quitter. Je pense aux Yves Martin, Jean Paré, Roch Bolduc qui l’ont côtoyé de près dans l’équipe du ministre de la Jeunesse et de l’Instruction publique, puis au ministère de l’Éducation. Sans compter le grand Guy Rocher, dont l’influence sur Gérin-Lajoie fut aussi grande que celle qu’il exerçait au sein de la commission Parent. Aux yeux du fonctionnaire de la jeune vingtaine que j’étais en 1964, dans les mois qui ont suivi la création du ministère de l’Éducation (mai 1964), oeuvrer dans les parages de Gérin-Lajoie constituait un privilège incommensurable. Cet homme s’imposait par sa stature intellectuelle, sa connaissance du système d’éducation, son remarquable esprit de synthèse, ainsi que par une détermination et un pouvoir de conviction à la hauteur des valeurs qui l’habitaient. J’aurais voulu qu’il reste ministre de l’Éducation à vie afin que la réforme engagée ne soit ni ralentie ni compromise.
L’idée d’un homme d’État
Il incarnait au regard des jeunes de ma génération l’idée qu’on se fait d’un homme d’État, celle d’un politique qui, en raison de la transcendance de son apport, laissera sa marque parmi les siens et lui vaudra une page d’histoire. Aussi, seul en sa présence, je me sentais petit et toujours étonné qu’il porte intérêt à mes opinions et qu’il me charge de la préparation de ses notes d’allocution, alors que nous volions ou roulions vers les régions en vue de convaincre de larges publics aux vertus d’une réforme dérangeante et de marteler, par souci de se bien faire comprendre, que « qui s’instruit s’enrichit ». Je ne l’aurai fréquenté que pendant deux trop brèves années, mais ce fut assez long pour que l’homme me marque à jamais. Après quarante années de carrière dans la fonction publique du Québec, je n’ai jamais cessé de penser qu’il fut le plus inspirant et le plus déterminant parmi la trentaine de ministres que j’ai côtoyés. Seul Jean-Paul L’Allier s’est inscrit au même diapason.
Alors, quoi retenir de PGL ? Il fut un maître parmi les maîtres. Je dis « un maître » car il était, dans son entourage, celui dont la tête dépasse et dont l’esprit s’impose par sa pertinence, sa hauteur et sa compétence. Nous étions nombreux à l’estimer irremplaçable et, conséquemment, à pleurer la défaite du Parti libéral et la fin du règne de Gérin-Lajoie en 1966. « Parmi les maîtres », doit-on ajouter, car PGL savait pertinemment que l’éducation d’un peuple repose essentiellement sur la présence et le rôle exclusif des maîtres, quels que soient la dimension et le sens de la réforme du système.
Or, pour faire face aux besoins nouveaux suscités par la réforme de l’enseignement élémentaire et secondaire, le Québec manquait cruellement de maîtres. D’où l’urgence de former de nouveaux instituteurs, en qualité autant qu’en nombre, pour accueillir et préparer à la vie les nouvelles cohortes d’élèves, désormais obligés de fréquenter l’école jusqu’à seize ans. Pour lui, les maîtres étaient la clé de voûte de la réforme qu’il conduisait.
PGL avait une formation de juriste. Il était spécialisé en droit constitutionnel et il avait emprunté la voie de la politique plutôt que celle de l’enseignement. Mais l’éducation lui tenait tellement à coeur qu’il se fit le maître d’une gigantesque réforme dont on ne mesurera jamais l’impact qu’elle eut sur la jeunesse pour qui l’école devenait accessible et gratuite, sur la société québécoise d’aujourd’hui et sur le destin du Québec. Adieu, Maître !
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