Cent femmes ou sans femme?

Débute sous peu, à la Cinémathèque québécoise, un grand cycle intitulé « Femmes, femmes : 100 réalisatrices », destiné, selon le site Web de l’organisme, à montrer que « les femmes ont fait l’histoire du cinéma » et à illustrer « la diversité, la richesse et la qualité du cinéma féminin à travers les époques et les continents ». L’initiative est magnifique et j’ai tout à coup envie d’annuler les vacances qui vont m’éloigner du coin de Maisonneuve et Saint-Denis pendant une partie de l’été.
Pas envie de mordre la main qui me propose 100 films de femmes, mais tout de même, un certain malaise… Pourquoi un tel cycle justement en juillet-août, quand il fait (en principe) trop beau pour qu’on ait envie de s’enfermer dans une salle obscure, quand trop de gens sont partis de toute façon, quand la presse travaille au ralenti et ne pourra répercuter l’événement ? Et qui peut voir 100 films en moins de 60 jours ? Beaucoup risquent de passer, une nouvelle fois, à la trappe.
Espérons que non. Espérons que les salles seront envahies par une foule réjouie, curieuse et… mixte (les hommes aussi ont tout à gagner à connaître le travail des réalisatrices, tout comme les femmes cinéphiles voient énormément de films d’hommes). Parce que, comme le dit Sophie Deraspe, porte-parole de l’événement avec Monique Simard, « j’aspire au jour où nous n’aurons plus à parler du “cinéma de femmes”, quand les femmes auront tout simplement leur place équitable dans le corpus de tous les films qui seront produits et montrés, ici comme ailleurs ». Elle a raison, c’est une question de justice économique (les femmes paient elles aussi le financement des films — et du secteur culturel en général — à même leurs impôts), de parité sociale, de parité culturelle. Mais il semble encore lointain, ce jour où les femmes — réalisatrices, actrices, productrices, techniciennes, spectatrices — auront leur « place équitable ».
En juillet 2016, Isabelle Boisclair et Martine Delvaux commentaient dans Le Devoir la domination presque absolue des regards masculins dans le cycle « Histoire de l’érotisme ». Cette domination est générale. De fait, la Cinémathèque nous offre, bon an mal an, une programmation très masculine (plus de 90 % des longs métrages projetés au cours des derniers mois ont été réalisés par un homme).
En toute justice, « Hommes, hommes » pourrait — devrait — être l’article de tous les autres cycles et projections normales de la Cinémathèque, mais un tel titre est impensable, puisque la domination des hommes a été tellement banalisée qu’on ne la voit plus. Habile tour de passe-passe qui laisse faussement croire que leurs oeuvres sont universelles et celles des femmes, particulières, banales, mineures.
On ne sent pas du tout, à parcourir la liste des titres projetés à la Cinémathèque en temps normal, que les femmes ont « fait l’histoire du cinéma » ou que « la diversité, la richesse et la qualité » de leurs oeuvres sont mises en valeur. Mais il n’est jamais trop tard. L’histoire n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se récrit sans cesse. On ne peut pas refaire le passé, mais on peut en révéler les pans cachés, en réparer les oublis, mettre en lumière ce qui a longtemps été relégué dans l’obscurité. On peut aussi miser sur les créatrices actuelles et sur l’avenir, comme le demandent — et l’obtiennent — parfois les organismes comme Réalisatrices équitables.
Mais abandonnons-nous à l’optimisme, en ces jours d’été. Espérons que ce cycle de films de femmes inaugurera une nouvelle ère. Que ce bel événement ne restera pas sans suite. Programmer, c’est exercer un énorme pouvoir : n’existent que les films qui sont vus, célébrés, reconnus. La Cinémathèque québécoise a ce pouvoir. Espérons qu’à partir de maintenant, cette grande institution fera pleinement honneur au principe d’équité de genre (et que les autres voix marginalisées y seront également entendues). Espérons que, des « 100 réalisatrices » qui seront bientôt à l’honneur, on ne retournera pas au « sans réalisatrice », ou presque, habituel. La parité n’est pas un geste unique. Comme toute forme de justice, elle est à créer et à recréer, sans cesse, dans les grandes orientations et les décisions quotidiennes. Parce que le « cinéma de femmes », c’est, tout simplement et tout bellement, du cinéma.