Difficile transition énergétique au Canada

Le gouvernement de Justin Trudeau a choqué le Canada entier par sa spectaculaire nationalisation de l’oléoduc Trans Mountain. La décision va-t-elle à l’encontre de l’Accord de Paris ou permettra-t-elle plutôt au Canada de respecter ses engagements climatiques ?
On sait que Justin Trudeau cherche à concilier deux objectifs contradictoires : la production de pétrole provenant des sables bitumineux et la réduction des gaz à effet de serre (GES). À cause des coûts pour réduire les émissions de GES des sables bitumineux, il importe d’obtenir le meilleur prix possible sur les marchés et, pour cela, les pipelines sont considérés par plusieurs comme le mode de transport le plus économique et le plus sécuritaire.
Compte tenu du poids de l’industrie, affranchir l’économie canadienne du pétrole représente un défi colossal. Seulement en Alberta, le pétrole génère plus de quatre fois plus de valeur économique que l’électricité au Québec, et crée près de six fois plus d’emplois directs. Le secteur est tellement important dans l’économie canadienne et dans la vie quotidienne de centaines de milliers de personnes que réduire, voire éliminer, la production de pétrole issu des sables bitumineux est un projet pharaonique.
Quelle que soit l’orientation que prendra le Canada, le pétrole demeurera source de débats et de tensions. Pourtant, les politiques de transition à mettre en oeuvre devront recueillir un large appui dans la population, ainsi qu’un engagement à long terme.
Gouvernance du virage vert
Des scientifiques indépendants, regroupés dans le « Dialogue pour un Canada vert », considèrent la gouvernance comme un enjeu central pour la réussite de la transition énergétique. Plutôt qu’un rapport fondé sur les technologies, leurs recommandations concernent les barrières sociales, politiques et organisationnelles, qu’ils considèrent comme « le principal frein, aujourd’hui, à cette transition. »
L’arrogance d’Ottawa face aux gouvernements locaux est un frein à la mobilisation et à la coopération. Pourtant, le Conseil canadien des ministres de l’Environnement, regroupant des élus du fédéral, des provinces et des territoires, démontre qu’il est possible de créer des espaces de dialogue productifs. Le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques pose une base de discussion flexible. La crédibilité des processus d’évaluation et d’examen public des impacts environnementaux des projets représente aussi un défi.
En matière de débat public, les initiatives en cours devront sérieusement s’amplifier. Par exemple, l’an dernier, Ressources naturelles Canada a invité la population à faire connaître ses idées sur l’avenir énergétique en participant en ligne ou en personne à des comités et à des ateliers. La démarche, Génération Énergie, a accouché d’un rapport faisant état de pistes pour une vision de l’avenir énergétique.
Si la nationalisation du pipeline Trans Mountain n’est pas une subvention, c’est quand même 3,3 milliards de dollars d’aides fiscales et de subventions que le Canada consacre chaque année à la consommation et au développement des hydrocarbures. De cette somme, 300 millions de dollars viennent du gouvernement du Québec. Il faut recycler ses sommes dans la décarbonisation.
Il faut aussi faire payer aux pétrolières le coût du carbone selon le principe pollueur-payeur. Les sommes récoltées par la vente de quotas d’émissions ou par une taxe sur le carbone devraient être investies en économies d’énergie, électrification des transports et autres combustibles à faible émission de GES.
Les ressources non renouvelables peuvent assurer des bénéfices durables à transmettre aux générations futures, mais les revenus qu’elles procurent doivent être investis dans un fonds souverain ou appliqués à la dette publique. Utiliser l’exploitation des hydrocarbures pour financer les budgets courants, c’est comme payer l’épicerie avec sa carte de crédit.
La nationalisation de l’oléoduc Trans Mountain démontre l’ampleur de l’enjeu de la transition énergétique du Canada. Relever les défis de l’Accord de Paris et de la décarbonisation exige bien plus que des voeux pieux. Il faut investir massivement en matière d’innovation et d’adoption à grande échelle de technologies propres, quitte à utiliser les revenus de la pollution pour y arriver. Cela requiert surtout un fantastique effort de mobilisation des forces vives de la grande mosaïque canadienne. Une mobilisation qui saura se hisser au-delà de la partisanerie politique et du clivage entre les États et les régions. Pas si facile, n’est-ce pas ?