Les libéraux ont mis à mal un riche héritage social

Selon le politologue Alain Noël, «historiquement, au Québec comme ailleurs, la social-démocratie a aussi bénéficié de son association avec l’affirmation d’une identité nationale».
Photo: Jacques Grenier Le Devoir Selon le politologue Alain Noël, «historiquement, au Québec comme ailleurs, la social-démocratie a aussi bénéficié de son association avec l’affirmation d’une identité nationale».

Soutenir que la montée du nationalisme peut s’accompagner de politiques sociales d’inspiration sociale-démocrate et innovantes est loin d’aller de soi par les temps qui courent. Défendre une telle position, c’est risquer de se retrouver à contre-courant.

Mais les faits historiques sont têtus et soutiennent de telles affirmations. On a vu en effet des États subnationaux comme l’Écosse, le Québec et l’État de Maharashtra en Inde utiliser leur portion de souveraineté pour s’engager dans la construction de politiques sociales progressistes, post-néolibérales et innovantes. C’est ce qu’a déjà souligné le politologue Alain Noël : « Historiquement, au Québec comme ailleurs, la social-démocratie a aussi bénéficié de son association avec l’affirmation d’une identité nationale. »

Pour analyser le recul du modèle québécois pendant la période 2003-2018, il faut se donner des points de comparaison avec des périodes antérieures au cours desquelles ce modèle a été construit. On retrouve, à mon avis, quatre périodes distinctes.

Avant 1960, l’État intervient peu en laissant faire la famille, l’Église et le marché.

Durant les années 1960 à 1990, l’État agit comme grand planificateur et maître d’oeuvre en matière de politiques sociales. C’est la première manière. L’État planifie, régule, finance, administre, gère, évalue tout seul. L’affirmation de l’État national québécois se conjugue avec des politiques sociales sociales-démocrates.

La troisième période couvre les années 1990-2003, au temps des gouvernements de Bourassa, Parizeau, Bouchard et Landry. On y voit l’émergence d’une douzaine de politiques sociales-démocrates innovantes, coconstruites par l’État et les acteurs de la société civile, sans oublier ceux de l’économie sociale et solidaire, de l’action communautaire et du marché du travail. Cela donne un modèle de politiques sociales deuxième manière, développé entre autres grâce à la mobilisation des « partenaires de la souveraineté » lors du référendum de 1995. Un référendum perdu sur le plan politique, mais gagné sur le plan social. Ce qui m’amène à soutenir que la mobilisation sur les dossiers de politiques sociales faite en amont et en aval du référendum a joué le rôle d’incubateur de projets de développement social appelés à enrichir ce modèle, qui connaît un net recul sous les gouvernements Charest et Couillard.

Une vision tronquée

 

Pour mettre en lumière ces reculs, il faut rappeler les initiatives progressistes et innovantes de la période précédente, trop souvent ignorées et dénigrées non seulement par la droite fédéraliste du PLQ et de la CAQ, mais aussi par une partie de la gauche souverainiste, ce qui est troublant et dommageable, parce qu’en étant incapables de bien analyser ces réformes de politiques publiques, on se prive de leviers puissants pour mettre de nouveau en oeuvre des politiques sociales-démocrates innovantes. La gauche, qui fait l’erreur de se représenter cette période comme si elle se résumait à celle d’un virage néolibéral qui aurait durant ces années gangrené l’ensemble des politiques publiques, parle comme si Lucien Bouchard avait imposé ses idées sans contreparties, à la manière d’un individu conservateur qui aurait été coupé de son Conseil des ministres, de l’Assemblée nationale, de son parti et de la société civile. C’est aussi oublier que Lucien Bouchard, négociateur de son état, savait évaluer les rapports de forces et que cette qualité a bien servi ces politiques progressistes.

Il y a lieu de contester cette vision tronquée d’une période vue sous l’angle réducteur d’un virage néolibéral. Je partage l’opinion exprimée récemment par Gérald Larose, qui présida la CSN et qui a été un acteur de premier plan durant cette période. « Sous Lucien Bouchard, il y a eu le prix du déficit zéro. Mais contrairement aux coupes d’austérité que nous venons de vivre, ce déficit zéro a eu comme contrepartie une relance sociale […] d’une ampleur rappelant celle de la Révolution tranquille et dans laquelle la société civile a été profondément mise à contribution pour des bénéfices immensément partagés et favorables au monde ordinaire. »

Je rappelle rapidement ces mesures progressistes : création des Carrefours jeunesse-emploi, création d’Emploi Québec après le rapatriement des juridictions, réseau des Centres de la petite enfance, Accès Logis, reconnaissance de l’économie sociale et solidaire et création du Chantier de l’économie sociale, politique de soutien à l’action communautaire, programme d’assurance médicaments, création des Centres régionaux de développement (CRD) et des Centres locaux de développement (CLD), politique d’équité salariale, législation contre la pauvreté et l’exclusion sociale, maintien de droits de scolarité les moins élevés en Amérique.

Ce sont ces avancées sociales, et plusieurs autres, qui ont été liquidées, ou à tout le moins mises à mal par les gouvernements libéraux depuis 15 ans.

Souverainistes engagés dans la promotion de ces politiques innovantes, nous avons un devoir de mémoire pour rompre avec l’oubli et le dénigrement de ce riche héritage. Au lieu de le traiter comme s’il était un sabot de Denver, ne serait-il pas mieux avisé de le transformer en levier ? La montée d’un mouvement national au Québec, tout comme celle apparue en Écosse, ne s’est-elle pas conjuguée avec « le développement de politiques sociales généreuses et innovatrices » ? D’où l’importance de renouer avec la dynamique nationaliste progressiste pour se construire une « identité partagée », comme l’avance le professeur Noël, et se redonner un élan en tant qu’indépendantistes engagés dans le développement social, culturel et économique du Québec.

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