Arrêtons de faire l’autruche dans le bac de recyclage

La hiérarchie des 3RVE (Réduire, Réutiliser, Recycler, Valoriser, Enfouir) est censée être au cœur de l’action gouvernementale.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La hiérarchie des 3RVE (Réduire, Réutiliser, Recycler, Valoriser, Enfouir) est censée être au cœur de l’action gouvernementale.

Mercredi dernier, se sont réunis à Québec les principaux acteurs de la filière du recyclage, confrontés, malgré les investissements passés, à une nouvelle crise majeure à la suite de la fermeture des principaux débouchés d’exportation des matières recyclables vers la Chine. Au-delà de cette importante rencontre de gestion de crise, cette situation nous rappelle la nécessité d’une réforme structurelle profonde de la gestion des matières résiduelles au Québec. Il est urgent de revoir nos standards de performance et de dépasser le tonnage de matières résiduelles récupérées comme principal critère d’efficience. Cet enjeu doit être pris au sérieux par l’ensemble des partis et devrait être une priorité pour le futur gouvernement.

Premièrement, il faut regarder le taux de recyclage réel et l’utilisation de la matière récupérée. La hiérarchie des 3RVE (Réduire, Réutiliser, Recycler, Valoriser, Enfouir) est censée être au coeur de l’action gouvernementale. À titre d’exemple, la bouteille réutilisée, celle broyée et reconditionnée en bouteille ou celle valorisée comme matériel de recouvrement dans un site d’enfouissement n’ont pas le même impact environnemental ni socio-économique. La bouteille non produite demeure la moins polluante ! L’objectif premier de réduction à la source n’est actuellement pas porté par les générateurs de matières, les recycleurs et les enfouisseurs. Une hausse des quantités de matières recyclées sans diminution, en valeur absolue, des matières résiduelles générées est une forme d’échec. Aussi, l’État doit remettre en avant cette priorité, mieux réguler l’écoconception des produits (réglementation, achat public, communication publique, etc.) et mieux informer le public pour des choix de (non) consommation éclairés.

Deuxième virage, les poubelles et bacs ne se remplissent pas en poids, mais en volume. La collecte automatisée ou manuelle des matières résiduelles est un, sinon le principal facteur de coûts du système, surtout dans les espaces publics hors du foyer. Que le sac collecté pèse 3 ou 20 kilos, cela prend une personne pour le collecter, d’où l’impact économique des « corps creux » que sont les tasses, verres et autres contenants alimentaires et de boissons. Alors que la plupart des grandes chaînes de restauration ont abandonné leurs initiatives de recyclage, leurs contenants remplissent nos équipements publics extérieurs et salissent nos rues et parcs, générant des coûts qui dépassent largement leur compensation financière obligatoire versée pour la collecte sélective municipale. Le volume doit donc être un des paramètres clés de l’analyse.

Meilleure coordination

 

Une autre priorité est de considérer dans l’analyse toutes les matières résiduelles qui échappent aux poubelles et aux bacs de recyclage et qui se retrouvent par terre ou dans la nature. Au regard des cas documentés hors Québec et des efforts déployés pour le nettoyage des villes, ces déchets sauvages pourraient générer des dizaines de millions de dollars annuellement au Québec, actuellement non considérés dans l’évaluation des systèmes, sans compter la pollution de notre environnement notamment par le plastique. Cela implique d’aborder et de planifier la gestion des équipements de récupération publics et privés (commerces, institutions, grands événements, etc.), les enjeux de propreté publique et ceux de protection de l’environnement de manière coordonnée et non en vase clos comme c’est encore le cas dans la plupart des municipalités. Les systèmes de récupération que sont la collecte sélective et celui de la consigne — qui attend depuis trop longtemps sa nécessaire modernisation, et notamment son élargissement aux bouteilles d’eau —, sans oublier les innovations que pourraient constituer des cloches de dépôt volontaire pour le verre ou des centres de dépôt de contenants consignés, doivent être bien arrimés ensemble pour optimiser globalement le système pour le public et non seulement pour les producteurs, distributeurs et recycleurs actuels.

Dans la même logique, il faut tenir compte de l’activité et des réalités sociales des récupérateurs informels, par exemple les valoristes, ces milliers de personnes à Montréal et au Québec qui récupèrent sur une base régulière, souvent dans des conditions difficiles, des quantités importantes de contenants consignés provenant des bacs de recyclage, des poubelles et des déchets par terre. Outre une contribution importante à la performance du recyclage et à l’environnement, cette activité apporte à ces personnes, à la situation financière fragile, un complément financier souvent précieux pour payer leur nourriture, mais aussi leur logement, soulignant l’importance d’avoir une perspective socio-économique large.

Ce changement d’angles d’analyse et de planification de nos systèmes de gestion des matières résiduelles demandera des ressources et prendra de la volonté et du courage politiques, notamment pour mettre en place une documentation et une évaluation de la performance générale du système qui soient rigoureuses et indépendantes, entre autres des générateurs de matières résiduelles, des recycleurs et des enfouisseurs. Sinon, à faire de l’économie circulaire sans sortir du bac de recyclage, on risque de tourner en rond.

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