Ces élèves empêchés de fréquenter leur école de quartier

Nous vivons à Pointe-Saint-Charles une situation absurde : depuis deux ans, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) ne permet plus à nos enfants de fréquenter l’école secondaire se trouvant dans notre quartier — ou plus précisément à 300 mètres de celui-ci — uniquement parce qu’elle appartient à la commission scolaire voisine. La CSDM exige plutôt que les élèves de « la Pointe » se déplacent vers un quartier où ils ne vont jamais, et qui ne représente absolument rien pour eux.
Aussi ai-je lu avec grand intérêt la lettre de Dinu Bumbaru et d’André Lavallée publiée dans Le Devoir du 25 mai dernier et intitulée « Quel avenir pour les écoles montréalaises ? ». Leur appel à une redéfinition de notre relation à l’école de proximité me paraît d’une importance capitale. Pourtant, absolument personne ne semble prêt à se pencher avec un minimum de bonne volonté sur ce dossier urgent.
Il est donc clair que les élèves vivant sur une frontière scolaire n’ont pas les mêmes droits que les autres, même si la politique d’admission de la CSDM indique clairement que ses élèves ont le droit de fréquenter l’école la plus proche. Ce droit ne s’étend pas aux élèves frontaliers, que l’on envoie dans des écoles lointaines sans égard pour leur sentiment d’appartenance à leur communauté, ainsi que pour la manière dont ils occupent déjà le territoire.
Après deux ans de démarches et de communications avec les médias, avec nos conseillers municipaux, avec notre députée et avec le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, nous devons constater que personne n’est prêt à faire ce qu’il faut pour mettre un terme à notre calvaire. La CSDM a toujours refusé de s’asseoir avec nous afin de trouver une solution à notre problème, tandis que le ministre s’en lave les mains, prétextant l’impossibilité pour lui de s’ingérer dans les affaires d’un « gouvernement élu ».
Pendant ce temps, de nombreux enfants de notre quartier se voient systématiquement refuser leurs demandes d’ententes extraterritoriales qui leur permettraient de fréquenter leur école de quartier en compagnie de leurs grandes soeurs, leurs voisins et camarades plus âgés. Ces derniers ont connu la belle époque où la CSDM reconnaissait la proximité et la fratrie comme facteurs justifiant l’octroi de ce précieux visa. Je ne peux décrire à quel point il est difficile d’expliquer cette situation aux plus jeunes, déjà fébriles à l’idée de passer au secondaire. Comme ils aimeraient eux aussi pouvoir se lever à huit heures et se rendre en bande, en moins de dix minutes à pied, à la polyvalente qu’ils connaissent déjà ! Mais la CSDM reste intraitable sur le sujet. Sincèrement, je ne vois pas de meilleure façon d’effriter, de manière durable, le tissu social d’un quartier, tout en instaurant chez nos jeunes un dangereux sentiment d’impuissance et de frustration.
Il est évident que nous nageons ici à contre-courant de la logique compétitive et marchande qui caractérise notre système d’éducation actuel. Qui de nos jours considère sérieusement l’école secondaire de proximité comme étant le meilleur choix pour ses enfants ? Certainement pas le ministre de l’Éducation, qui envoie les siens à l’école privé, ni les commissaires scolaires, qui sont nombreux à faire du magasinage d’écoles à projets particuliers ou à vocation pour leurs propres enfants. Pourtant, nous sommes encore quelques-uns à croire que la banale polyvalente du coin est un choix idéal, pour toutes sortes de raisons parfaitement sensées. La proximité offre tellement d’avantages évidents que je me retiendrai de les énumérer ici ; le concept même d’« école de quartier » n’a d’ailleurs de sens qu’à partir du moment où il y a proximité et sentiment d’appartenance.
Les règlements sont utiles en ce bas monde, mais il importe de savoir faire des exceptions. Les accommodements ne devraient pas être perçus comme étant des privilèges, mais plutôt comme la reconnaissance de situations exceptionnelles dans lesquelles un règlement devient absurde. […] Il me semble que nous touchons là à une simple question de dignité et de respect.
Si nous espérons retisser les liens perdus dans nos sociétés modernes, mettre un frein au règne de la voiture, redonner un brin d’autonomie à nos jeunes grâce au transport actif, offrir des heures de sommeil supplémentaires à nos ados et retrouver un sentiment d’appartenance envers nos écoles et nos quartiers, il faudra de toute urgence réunir les acteurs scolaires, municipaux et provinciaux dans un honnête effort non partisan d’assurer à tous les élèves le droit de fréquenter leur école de proximité — y compris ceux qui ont le malheur de vivre sur une frontière scolaire.