Éthique et culture religieuse: un programme à réviser

Selon l'auteure, le projet d’un cours d’Éthique et culture religieuse est un chantier interrompu qui doit être rouvert.
Photo: Martin Bureau Agence France-Presse Selon l'auteure, le projet d’un cours d’Éthique et culture religieuse est un chantier interrompu qui doit être rouvert.

Faire en sorte que les élèves apprennent à vivre dans une société démocratique où les convictions religieuses et laïques divergent. Les amener à s’interroger et à réfléchir de manière responsable sur des enjeux éthiques et des défis de société. Il s’agit là de tâches éducatives essentielles. Y renoncer serait une grave erreur.

Au Québec, c’est initialement dans cet esprit que le projet d’un cours commun et obligatoire d’Éthique et culture religieuse (ECR) a été adopté en 2005. Les orientations ministérielles initiales en témoignent : quotidiennement, les rapports entre personnes ou entre groupes appellent des choix qui tantôt isolent et divisent, tantôt rapprochent et solidarisent. Les convictions religieuses, comme les choix éthiques, peuvent être source de tensions et de conflits. Pour favoriser la cohésion sociale, les apprentissages faits dans le programme proposé visent expressément le partage de valeurs communes, l’acquisition d’un sens civique dans l’expression de ses convictions et de ses valeurs et la prise de conscience que les choix individuels ont des effets sur la collectivité. C’est pourquoi la classe devient un lieu d’expression, de recherche, de prise de conscience et de discussion sur différents thèmes adaptés aux élèves. Les différences de points de vue sont prises en compte tout autant que l’engagement avec les autres dans la poursuite du bien commun, en fonction de ce que les élèves sont capables de faire selon leur âge.

Dans les orientations initiales, la formation en éthique incluait la réflexion sur les valeurs et les prescriptions sociales et l’appréciation de différentes visions du monde et de l’être humain. Elle incluait aussi la capacité à se situer de façon réfléchie au regard d’enjeux moraux ou éthiques et la prise de conscience de diverses conceptions du monde et de l’être humain au cours du temps et dans les cultures. En sus de cela, il y avait l’interrogation de l’élève sur sa propre conception de la personne, l’examen et la mise en perspective des valeurs propres aux sociétés d’ici et d’ailleurs et la prise de distance face à ses valeurs personnelles dans la réflexion sur des enjeux de société.

La formation en culture religieuse comprenait la familiarisation avec l’héritage religieux du Québec, l’ouverture à la diversité et la capacité de se situer de façon réfléchie au regard des religions et des nouveaux mouvements religieux. S’appuyant sur le principe du respect de la liberté de conscience et de religion, le programme devait aussi comporter des apprentissages sur les courants de pensée séculière. C’est seulement par souci de concision que l’intitulé du programme n’en faisait pas mention. La formation incluait le développement d’attitudes appropriées face à la diversité des convictions (religieuses et laïques), notamment le respect, la tolérance et l’ouverture au dialogue. La réflexivité était aussi présente à travers la prise de conscience de l’importance de décisions réfléchies en matière de religion et de l’importance de considérer la diversité des points de vue possibles (incluant les courants de pensée séculière) dans le processus de réflexion.

Des suggestions

 

Le programme officiel d’ECR du ministère de l’Éducation s’inscrit-il bien dans cette perspective initiale ? Un état des lieux s’impose.

L’actuel ministre de l’Éducation dit s’interroger sur « ce qui pourrait être amélioré pour respecter l’esprit du programme initial ». Prenons-le au mot, car beaucoup reste à faire.

Réviser le programme officiel de manière à ce qu’il respecte davantage son esprit initial consisterait à :

Réduire l’approche descriptivedes religions au profit d’une approche culturelle (arts, littérature, mémoire).

Réduire la place accordée aux religions pour faire une place équitable aux courants de pensée laïques et aux convictions qui ne se réclament pas d’une tradition religieuse.

Aider à la réflexion critique sur les valeurs et les normes (communes et particulières) et les conduites, et ce, sans exclure celles que se donnent des personnes et des groupes se réclamant d’une conviction religieuse ou séculière.

Faire place à la prise de décision réfléchie au regard des religions, des nouveaux mouvements religieux et des manifestations séculières.

Amener les élèves à s’interroger sur leur conception de la personne et leurs valeurs.

Revoir l’apprentissage du dialogue car, s’il contribue à l’horizon civique de poursuite du bien commun, il ne conduit pas nécessairement à se soucier d’autrui.

Même si nous connaissons des enseignants qui ont su pallier ces lacunes et s’inscrire dans la perspective des orientations initiales, le programme officiel nécessite des changements non négligeables. Le projet de l’ECR est un chantier interrompu qui doit être rouvert. Comme le souligne le Conseil supérieur de l’éducation, il faut concevoir l’ensemble du curriculum et des programmes comme un chantier en constante évolution.

* La lettre est appuyée par les membres du Groupe de recherche sur l’éthique en éducation et en formation :
Guy Bourgeault, professeur, Université de Montréal;
Mathieu Gagnon, professeur, Université de Sherbrooke;
Claude Gendron, professeure, Université du Québec à Trois-Rivières;
Sivane Hirsch, professeure, Université du Québec à Trois-Rivières;
France Jutras, professeure, Université de Sherbrooke;
Bruce Maxwell, professeur, Université du Québec à Trois-Rivières.

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