L’avenir, des raisons d’espérer

Un ouvrier illumine une croix avant une procession de Pâques menée par le pape François à Rome. Peut-on espérer quand on ne croit plus ou sommes-nous voués à la désespérance? s'interroge l'auteur. 
Photo: Filippo Monteforte Agence France-Presse Un ouvrier illumine une croix avant une procession de Pâques menée par le pape François à Rome. Peut-on espérer quand on ne croit plus ou sommes-nous voués à la désespérance? s'interroge l'auteur. 

Conviés à célébrer la fête de Pâques, les chrétiens commémorent ces jours-ci la résurrection de Jésus-Christ, cet événement qui constitue le coeur de leur foi et fonde leur espérance dans un accomplissement à venir. Qu’en est-il de nous, modernes qui avons cessé de croire ? Peut-on espérer quand on ne croit plus ou sommes-nous voués à la désespérance ? Dans le dernier quart du XXe siècle, non seulement les espérances fondées sur les Grands Récits, qui, à l’instar du marxisme, interprétaient l’histoire de l’humanité comme un long chemin vers l’émancipation, se sont évanouies, mais la confiance naïve dans les progrès de l’humanité s’est érodée.

Taries, les idéologies fortes porteuses d’utopies ont fait place ou bien à des idéologies faibles qui nous immergent dans un présent qui ne connaît de futur qu’une poursuite indéfinie des processus techno-économiques existants, nous engageant dans un désespoir qui revêt la forme de l’ennui, ou bien à de nouvelles idéologies fortes, mais porteuses, celles-là, de contre-utopies. Ces dernières varient selon qu’elles s’adonnent à un catastrophisme qui milite pour l’évitement du pire et ressasse les lieux communs de la pensée réactionnaire (disparition de l’authenticité du monde naturel, idée de décadence, prophétie d’un effondrement du monde moderne sous la pression de la technique, méfiance vis-à-vis de la rationalité scientifique et rejet du projet de maîtrise des processus naturels) ou à l’idéalisation d’un passé plus ou moins mythique qu’elles cherchent à réinventer.

On peut pourtant réapprendre à rêver d’un avenir autre, plausible et désirable. Non pas des rêves d’évasion dont l’effet ne peut être que paralysant, mais des rêves qui, plutôt que de se détourner de la réalité, regardent au contraire dans sa direction, identifiant les possibles inscrits dans la situation présente. Il ne s’agit pas de fixer un sens à l’histoire à la façon des religions qui, quoi qu’elles affirment, ont bien conçu et non reçu les significations et l’orientation qu’elles proposent, mais plutôt de dégager et de reconnaître le sens de l’évolution historique, de comprendre le passé et sur cette base d’anticiper l’avenir, et de pouvoir ainsi décider de notre action selon nos idéaux, mais en ayant pied dans le réel. Le recul nécessaire nous est aujourd’hui permis grâce aux connaissances sociohistoriques qui sont nôtres et aux cadres interprétatifs dans lesquels elles s’inscrivent.

Un monde désenchanté

 

Modernes, nous devons apprendre à vivre dans un monde désenchanté, dépouillé de toute promesse d’un paradis après la mort ou d’une société sans classes. Toutefois, si l’irréversibilité du temps et notre finitude se révèlent indépassables, l’espérance peut pourtant tenir en laisse notre souci de la mort et nous permettre de mobiliser nos énergies collectives. Cette espérance ne doit pas être confondue avec la confiance aveugle dans l’avènement d’un monde meilleur. Elle doit conjuguer notre aspiration à un idéal désirable, à un espoir instruit des possibilités réelles de la transformation du monde. Bien sûr, pour substituer l’espoir à la crainte ou à la monotonie, il faut éviter de nous laisser aveugler par les événements conjoncturels et adopter une perspective prenant en compte les processus qui s’inscrivent dans le long terme. Car il n’est pas assuré que les déséquilibres économiques doivent continuer à s’accentuer, précipitant l’économie mondiale de crise en crise, que les États doivent poursuivre leur pratique d’austérité, malmenant le tissu social et économique de leurs sociétés, que l’élargissement et l’amplification des inégalités doivent l’emporter durablement, que les dégâts écologiques doivent s’accroître jusqu’à mettre en danger la planète, que l’insécurité doive se faire endémique et que les populismes et les autoritarismes doivent prévaloir.

Certaines transitions silencieuses en cours offrent des appuis pour une évolution autre de nos sociétés. C’est ainsi qu’à travers les luttes sociales actuelles, se constitue une utopie concrète inédite, basée sur le projet d’un nouveau modèle de développement fondé sur le développement durable. Pour une avancée possible de la démocratie, nous devons relever la responsabilisation des individus — des individus qui s’avèrent moins conformistes, plus critiques, plus innovateurs — ainsi que leur capacité et leur disposition à coopérer, et l’ouverture et la densification des sociétés civiles.

À un autre niveau, nous pouvons noter les facteurs qui sont susceptibles de favoriser à terme une coopération internationale favorable à une gestion commune des biens publics mondiaux et à un codéveloppement : un certain pragmatisme de la part des grandes puissances que leurs intérêts pourraient inciter à la modération et une inscription progressive, même si difficile, des sociétés non occidentales dans les dynamiques sous-tendant la modernité, ce qui augure d’une convergence graduelle possible des valeurs dans la société internationale. Il nous faut ici encore éviter de nous laisser aveugler par les événements conjoncturels et adopter une perspective prenant en compte les processus qui s’inscrivent dans le long terme.


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