L’«effet boomerang» des politiques américaines dans le triangle Nord

On parle peu de la crise humanitaire qui afflige les pays du triangle Nord (Honduras, Salvador et Guatemala) depuis quelques années. Ces pays sont aux prises avec des taux de criminalité extrêmement élevés (le Salvador et le Honduras ont les plus hauts taux d’homicides au monde), un manque criant d’opportunités économiques et des institutions affaiblies et corrompues. Ces conditions ont entraîné une augmentation marquée des mouvements migratoires, tout particulièrement de personnes mineures, vers les États-Unis et le Mexique depuis les années 2000.
Si la politique des États-Unis à l’endroit du triangle Nord est généralement mal avisée depuis plus d’un siècle, Barack Obama avait au moins reconnu la gravité de la situation et avait entrepris de bonifier l’aide au développement pour la région dans un programme appelé l’Alliance pour la prospérité du triangle Nord. Quoique problématique à plusieurs égards, le programme concédait que l’extrême pauvreté (plus de 60 % des citoyens au Honduras, 50 % au Guatemala et 30 % au Salvador vivent avec moins de 1,90 $ par jour) et la faiblesse des institutions juridiques et politiques contribuaient au climat de violence qui sévit dans la région.
Déterminé à renverser les mesures adoptées par Obama, le président Trump a résilié le programme lancé par son prédécesseur qui permettait à certains individus de moins de 18 ans d’obtenir un permis temporaire pour demeurer aux États-Unis. Il prévoit de réduire les fonds alloués à l’Alliance pour la prospérité de 39 % et de supprimer la protection temporaire accordée aux citoyens du Honduras après l’ouragan Mitch de 1998 (57 000 Honduriens seraient affectés par la mesure) et aux citoyens du Salvador après le tremblement de terre de 2001 (200 000 Salvadoriens seraient touchés).
Le gouvernement Trump a aussi promis de s’attaquer aux fameux gangs qui opèrent dans ces pays, mais aussi aux États-Unis, dont les plus connus sont les MS-13 et les Barrio 18. La dénonciation publique de ces gangs a été l’occasion pour le président d’associer immigration et criminalité, et donc de justifier des politiques beaucoup plus restrictives en matière d’immigration. Il importe de mentionner que ces mêmes gangs, formés d’individus qui fuyaient la guerre civile (particulièrement au Salvador), ont vu le jour dans les rues de villes américaines comme Los Angeles.
À partir de 1995-1996, les autorités américaines ont commencé à expulser des milliers de criminels vers leur pays d’origine. De 2001 à 2010, près de 130 000 individus ont été expulsés vers l’Amérique centrale par avion. Si le phénomène des gangs criminels était marginal dans le triangle Nord avant les années 1990, il est devenu particulièrement répandu à partir des années 2000 et a engendré une augmentation spectaculaire de la violence dans la région.
Contrôle des flux migratoires
Si le gouvernement Trump va de l’avant avec une autre vague d’expulsions massives, qui toucherait des milliers de migrants mineurs issus du triangle Nord, beaucoup d’observateurs craignent que ceux-ci viennent grossir les rangs de ces groupes ou s’exposent à des exactions violentes.
Même si le président n’opte pas pour cette mesure, tout indique que la politique du gouvernement pour la région, qui va être menée de front par l’actuel chef de cabinet du président John Kelly, ex-commandant de la US Southern Command qui couvre l’Amérique latine, va être axée sur le contrôle des flux migratoires et sur le déploiement d’une stratégie militaire et sécuritaire pour le triangle Nord.
Cette stratégie vient en quelque sorte conforter la méthode de la mano dura adoptée par la plupart des gouvernements du triangle Nord, qui consiste à lutter contre les gangs par la répression armée. Jusqu’à maintenant, cette stratégie n’a pas contribué à enrayer la violence de manière significative et a empiré la situation dans certaines régions.
Les États-Unis, de qui les pays du triangle Nord sont largement dépendants économiquement, sont en bonne partie responsables de la crise qui affecte la région. Les politiques d’expulsion, l’incarcération massive, la militarisation de la stratégie anti-gang et le manque de fonds alloués à l’aide au développement ont fomenté la violence, l’instabilité et la pauvreté.
Si ce n’est par devoir moral ou par égard pour un voisin proche, les États-Unis devront en définitive reconnaître l’inefficacité de leurs politiques, qui alimentent le cercle vicieux des expulsions, des mouvements migratoires et des campagnes de répression armées. Dans la mesure où cette politique à courte vue est directement contraire à l’intérêt national des États-Unis, elle constitue l’un des pires échecs de la stratégie géopolitique américaine.
Au final, ces politiques ne s’attaqueront pas véritablement aux causes des mouvements migratoires et, à plus long terme, elles risqueront de coûter plus cher que des programmes axés sur la réinsertion sociale, l’accès à l’emploi, la redistribution des richesses et le renforcement des institutions judiciaires et politiques.
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