Les bibliothèques scolaires, un service essentiel

Lettre adressée au ministre de l’Éducation Sébastien Proulx
C'est avec grand intérêt que les bibliothécaires scolaires ont lu votre livre, espérant y trouver une vision à laquelle adhérer. Un ministre de l’Éducation qui parle de lecture ! Il y avait de quoi s’emballer. Hélas, encore une fois, nous sommes déçues. En tant que responsables de la gestion des bibliothèques, le service éducatif complémentaire le plus apte à servir votre vision, nous avions l’espoir d’occuper une place privilégiée dans votre réflexion. En effet, comment parler de lecture sans aborder le rôle crucial que devraient jouer la bibliothèque et son personnel qualifié dans une école ?
Au cours de la dernière décennie, votre ministère a massivement investi dans la bibliothèque scolaire. Il a même engagé une centaine de bibliothécaires pour l’ensemble du réseau. Par contre, au-delà de ces embauches, jamais votre ministère n’a cherché à savoir ce que nous faisons concrètement pour participer à la réussite des élèves. […] Être bibliothécaire, c’est tellement plus qu’acheter des livres pour les écoles. Il y a entre autres le développement des collections qui vise à maximiser chaque dollar investi — à l’opposé des achats discutables effectués actuellement par certaines écoles —, la gestion financière, la création de bibliothèques numériques qui facilitent la médiation et la diffusion et, surtout, la formation aux compétences informationnelles. […]
Nous nous questionnons sur certaines incohérences du système que nous avons maintes fois dénoncées, mais qui demeurent lettre morte. Comment se fait-il que le ratio 1 bibliothécaire pour 5000 élèves, établi par votre ministère et qui devrait être revu d’ailleurs, ne soit pas encore atteint 10 ans après la mise en place du plan d’embauche ? À l’heure actuelle, avec une population de près d’un million d’élèves, les 104 bibliothécaires en poste doivent chacune offrir des services à plus de 10 000 jeunes. Comment se fait-il que des commissions scolaires n’aient aucun service de bibliothécaires scolaires ? Que nous, professionnelles, consacrions notre temps à faire des tâches techniques qui relèvent d’un autre corps d’emploi ? Que devant l’ampleur de la tâche, nous soyons proches de l’épuisement ?
Comment espérer offrir un véritable service à la communauté scolaire lorsque nous n’avons pas tous les outils et le personnel technique nécessaires pour le faire ou que le territoire à couvrir est si grand que nous passons plus de temps sur la route qu’entre les murs d’une école ? Comment se fait-il qu’aucun bibliothécaire scolaire ne travaille actuellement dans votre ministère pour vous accompagner vers une vision bibliothéconomique du changement et pour guider vos troupes sur le terrain ? Pourtant, vous avez en votre possession le rapport Bouchard publié en 1989. Ce dernier fait état de la situation des bibliothèques scolaires et formule de précieuses recommandations pour les exploiter adéquatement. Plusieurs d’entre elles attendent encore d’être mises en application trente ans plus tard.
Manque de ressources
Le numérique semble être parmi vos principales préoccupations et à raison, puisque l’arrivée de ce nouveau média a vraiment décuplé l’accès à l’information. Cependant, saviez-vous que les bibliothécaires scolaires ont les connaissances et le savoir-faire pour former les élèves aux compétences informationnelles et pour les aider à naviguer à travers la tonne d’information à laquelle ils accèdent chaque jour ? L’UNESCO, que vous citez à plusieurs occasions dans votre livre, s’est d’ailleurs prononcée en ce sens en élaborant les cinq lois de l’éducation aux médias et à l’information. La première loi veut que l’ensemble des fournisseurs d’information, dont le Web et la bibliothèque, soient destinés équitablement « à être utilisés au service de l’engagement critique des citoyens ». Or, plusieurs bibliothécaires sur le terrain ne peuvent offrir cet accompagnement aux enseignants et aux élèves, par manque de ressources, par manque de reconnaissance de notre expertise et par manque de temps parce qu’elles se consacrent prioritairement aux fonctions de base que sont le développement et le traitement des collections.
Finalement, expliquez-nous, Monsieur le Ministre, comment nous devons aider les élèves ayant des besoins particuliers qui viennent à la bibliothèque pour accéder à un livre numérique. Ceux qui ont le plus besoin de nos services pour réussir repartent bredouilles. Car en 2018, il est encore impossible pour les bibliothèques scolaires de prêter des livres numériques, rendant nos services désuets. Depuis plus de trois ans, nous attendons l’aboutissement d’un projet ministériel visant le déploiement d’une plateforme de livres numériques pour les écoles québécoises. […] Vous avez consacré des mesures pour fournir à des jeunes des portables et des logiciels pour les aider à mieux réussir, mais vous avez oublié l’essentiel : l’accessibilité aux livres ! L’accessibilité à la littérature, ce n’est pas juste acheter des livres C’est aussi offrir aux élèves et aux enseignants des bibliothèques scolaires pédagogiques qui répondent à de hauts critères de performance.
Il est temps, Monsieur le Ministre, de rendre nos bibliothèques scolaires efficientes, nous donnant la possibilité de développer de réels carrefours d’apprentissage, des bibliothèques modernes et performantes où l’on trouve du personnel qualifié en nombre suffisant, des collections physiques et numériques diversifiées et accessibles aux élèves, et de l’accompagnement efficace aux enseignants voulant utiliser de façon pédagogique les ressources. Voilà ce qui fera de nous, bibliothécaires scolaires, des acteurs importants dans le réseau, travaillant à l’atteinte du même objectif que vous : former et développer de bons lecteurs. Nous sommes sur le terrain avec une expertise pouvant faire avancer votre vision. Nous demandons de pouvoir faire notre travail et de le faire dans des conditions gagnantes.