Des enseignants laissés à eux-mêmes

Lettre adressée au ministre de l’Éducation Sébastien Proulx
J'apprécie les nombreux efforts que vous faites pour revaloriser le merveilleux métier d’enseignante que j’ai exercé durant 37 ans. La reconnaissance passe, vous le savez très bien, par un rehaussement important du salaire et des conditions de travail. Mais laissons aux syndicats la tâche de négocier ces aspects avec vous. Abordons plutôt la formation continue et l’évaluation des enseignantes.
À cause de compressions majeures, il y a une quinzaine d’années, le ministère de l’Éducation a confié la responsabilité qu’il détenait en matière de perfectionnement des enseignantes aux commissions scolaires. Or, ces dernières, victimes année après année de nouvelles compressions à ce chapitre, ne peuvent plus offrir autant de sessions de formation sur les lieux de travail. Les enseignantes se tournent donc vers les congrès des différentes associations professionnelles pour pallier ce manque, mais là aussi, compressions dans les écoles ! Peu d’enseignantes gagnantes au « bingo » pour assister à ces congrès de ressourcement professionnel. Souvent, l’école n’a pas le budget pour payer la suppléante lorsque l’enseignante est libérée pour assister à ces formations.
Que faudra-t-il faire pour assurer une formation continue ?
Nous, comme enseignantes, devons évaluer chaque enfant et faire un plan à chaque étape pour l’aider à maintenir ses forces, d’une part, et à relever ses défis, d’autre part. Les directions d’école ont tout le pouvoir nécessaire pour « évaluer » les enseignantes, mais elles ne le prennent pas. Jamais, en 37 ans, une direction d’école ne m’a offert de regarder avec moi mes forces et mes faiblesses dans l’exercice de ma fonction. Jamais on ne m’a offert de venir observer mes interventions en classe dans le but d’en souligner les bonnes et de m’aider avec ce qui m’apportait des difficultés. Jamais on ne m’a offert de faire avec moi une évaluation formative. Une fois en 37 ans, parce que j’ai insisté, la directrice l’a fait et, à la fin de ces 45 minutes de respect et d’ouverture de part et d’autre, elle m’a demandé : « Comment puis-je t’aider à relever l’un de tes défis ? » C’est exactement ce qu’on attend d’un bon gestionnaire. On devait se revoir à la fin de l’année pour faire le bilan, mais elle n’en a pas eu le temps. L’aide qu’elle devait me trouver n’a pas pu m’être offerte parce que le conseiller pédagogique en informatique, débordé par l’instauration chaotique des tableaux blancs, ne pouvait répondre aux demandes individuelles.
La grande majorité des directions d’école sont, au fil des ans, devenues des gestionnaires plutôt que des leaders pédagogiques, comme on le souhaiterait pour une institution vouée à l’éducation des enfants. Les commissions scolaires ont, à leur tour, délégué aux directions d’école de nombreuses tâches administratives. Elles demandent aussi de plus en plus de comptes sur la réussite des élèves, ce qui amène les directions à calculer constamment un grand nombre de données et à réaliser des tableaux de toutes sortes destinés à leurs patrons. Les directions croulent sous les tâches administratives et mettent énormément d’énergie à éteindre les feux allumés par un nombre grandissant d’enfants en très grand besoin de services trop souvent inexistants. Non seulement les enseignantes sont laissées à elles-mêmes, mais l’accompagnement qui leur permettrait de ne pas quitter leur emploi après leurs cinq premières années ou d’améliorer leur pratique est absent, sauf exception. Un ordre professionnel ne viendra pas régler ce problème, Monsieur le Ministre.