La maison Arthur-Villeneuve - Saguenay renie ses trésors

Tout le monde ou presque connaît la maison-musée Arthur-Villeneuve, pièce majeure d'art populaire, recouverte de fresques et mettant en valeur sa ville, sa région, son histoire, ses légendes, ses édifices religieux, ce Québec et son histoire.

Dès 1962, Alfred Pellan écrivait: «Quel acquis providentiel pour Chicoutimi et le Canada tout entier que cette oeuvre inusitée.» François-Marc Gagnon reconnaissait l'importance de sauver cette pièce d'art unique, non polluée par la culture et ses aléas, et le fait que celle-ci avait une portée universelle. Lise Bissonnette, du Devoir, en rajoutait et osait écrire que cette maison devrait être à Chicoutimi ce que la tour Eiffel est à Paris.

Longtemps dénigrée, mésestimée, ridiculisée, jusqu'à être qualifiée par certains de notre élite municipale — et pour être poli — de vulgaire cabane, elle fut, après de longues tergiversations et grâce au lobbying exercé par la presse, reconnue trésor national par le gouvernement canadien en 1993.

Imposée au Musée régional par nos gouvernements, elle fut par la suite déménagée sur le site de la Pulperie, dans l'adversité et sous les railleries du petit peuple qui dénonçait ce scandale. Un événement historique qui a pourtant catapulté son royaume sur la scène nationale, voire internationale (à CNN). Jamais cabane au Canada n'aura suscité tant d'intérêt.

Cette mal-aimée est ainsi devenue l'objet, la cause profonde d'un mariage institutionnel forcé, Musée et Pulperie, que les acteurs refusaient de consommer. Cette guerre de pouvoir aura été préjudiciable à l'oeuvre, la privant de réflexions appropriées en ce qui a trait au concept de sa mise en valeur. Cette querelle aura de plus contribué à miner davantage l'image de cette Pulperie qui, rappelons-le, est un site classé Patrimoine canadien, vestige industriel, berceau du syndicalisme canadien et gardienne du patrimoine collectif régional avec ses 26 000 objets. Malgré des investissements dépassant les 30 millions de dollars en 25 ans, les citoyens de sa région et de sa propre ville ne l'ont toujours pas adoptée. [...]

Gros sur le coeur

Les classeurs débordent de rapports sur cette Pulperie. Il aura fallu attendre le dépôt du rapport Guillemette, en 2003, pour se rendre compte de ce à quoi on aurait dû et devrait accorder priorité, c'est-à-dire mettre en évidence et exploiter, soit la maison d'Arthur Villeneuve, son oeuvre, son histoire, et cette colorée et chaleureuse Mme Hélène, protectrice de l'artiste. Encore aujourd'hui, bien peu de gens de chez nous croient à l'importance de cette maison, de son histoire et d'Arthur Villeneuve comme ambassadeur de cette Pulperie, de Saguenay et de la région tout entière.

Lorsqu'on méprise ses trésors et qu'on leur manque de respect, allant jusqu'à les exposer dans des conditions beaucoup plus près d'une bête de cirque que d'une oeuvre d'art (la maison est affublée d'une clôture de broche à poules de six pieds de haut avec, en pourtour, la collection d'objets dans des boîtes superposées, grotesque installation, fruit d'une décision unanime du conseil municipal, entérinée par le conseil d'administration du musée, et ce, dans l'indifférence du ministère de la Culture), on ne peut malheureusement pas respecter ceux qui vous ont forcés à les acquérir.

Sitôt la maison Villeneuve acquise, on a sauvagement mis sa succession à la porte. Les ententes, les devis de réalisations, les droits fondamentaux et les droits d'auteur, on les bafoue. Plusieurs sont concernés. De plus, on boycotte l'exposition de Québec, Paris et Metz, et on pousse l'odieux jusqu'à humilier Mme Villeneuve, 83 ans, malade, exigeant qu'elle paie son entrée pour revoir une toute dernière fois sa maison, trois mois avant sa mort.

Oui! Les Villeneuve en ont gros sur le coeur et conservent un souvenir amer de cette rocambolesque histoire d'horreur culturelle écrite par de prétendues institutions civilisées.

Transfert

Nous avons choisi de suivre les conseils du ministère de la Culture de ne pas poursuivre, d'attendre les nouveaux acteurs, mais en vain. Désabusés, blessés, voire meurtris par toute cette histoire, nous avons cessé de promouvoir un projet de télésérie, refusé plus d'une dizaine d'expositions, des titres honorifiques, en plus d'annuler plusieurs émissions télévisées, etc.

Les conséquences sont désastreuses non seulement pour Villeneuve et sa cote mais aussi pour le Musée de la Pulperie, Saguenay et son industrie touristique. L'inertie des gouvernements supérieurs, l'attitude de Saguenay, cette mise en demeure signifiée de cesser tout lobbying et, enfin, la recommandation d'un élu, membre du conseil des arts, de quitter cette ville qui a vu naître Arthur Villeneuve, nous auront convaincus de procéder peu à peu à la liquidation du patrimoine de cette maison.

Le terrain de la rue Tachée qui devait servir de site témoin a été vendu. Nous démarchons actuellement pour transférer ce qui reste du patrimoine et du fonds Villeneuve ailleurs, là où on sera fier de l'apprécier à sa juste valeur. Saguenay a déjà renié son plus grand artiste, membre de ce prestigieux Ordre du Canada et élu par la presse régionale «personnalité artistique par excellence du siècle dernier».

Il faut vous rappeler que Saguenay vit sous le règne d'un autocrate démagogue, obsédé par le compte de taxes, qui se fout éperdument des structures en place, des institutions établies, des personnes. [...] La Ville de Saguenay a illégalement pris le contrôle du musée du site de la Pulperie pour y placer ses apôtres soumis. Elle souhaite rapatrier les quatre millions de dollars de l'assurance à la suite du déluge de 1996, qui n'ont toujours pas été réinvestis. Cette saga est loin d'être terminée.

Il y a bien sûr cet organisme voué à la protection et à la diffusion de cette culture, Solidart, qui lutte désespérément contre cette machine municipale. Ils sont toutefois plutôt timides et surtout bien seuls... Il s'agit pourtant ici de notre musée et de notre patrimoine régional. C'est une indifférence collective manifeste.



Des artistes échaudés

Le 16 janvier 1962, le journal Le Phare titrait: «Madame Villeneuve parle! "Mon Arthur attaqué! On nous traite de fous! Nos enfants ridiculisés! On s'en va!"» Elle avait bien raison. C'est malheureusement toujours aussi vrai 42 ans plus tard.

Arthur Villeneuve, malgré toute la controverse qu'il a pu susciter et suscite encore, traverse l'histoire. Ce petit bout d'homme du commun a fait fructifier son talent et accompli sa mission. Il laisse une oeuvre importante, unique, différente, et nous espérons qu'on fasse un jour une lecture exhaustive de cette dernière et qu'on le célèbre dans et pour sa différence.

Au-delà de tous ces beaux et grands discours et énoncés de principe de cette grande politique culturelle canadienne et québécoise, les nombreuses institutions responsables de les administrer, toutes les lois les régissant, la journée internationale du droit d'auteur, les journées de la culture, les titres honorifiques qu'on a conférés à telle oeuvre, etc., j'ai tout simplement tenté de vous démontrer comment, dans le quotidien, on met tout cela en pratique, comment on le respecte, voire le maltraite.

Il y a, dans ce Québec d'aujourd'hui, plusieurs artistes et successions, de grands noms qui, échaudés et meurtris par leurs expériences avec les musées, refusent désormais de collaborer avec eux. Nous les avons rejoints. Cette aberrante situation est bien réelle et prive ainsi nombre de Québécois et de Canadiens du droit légitime à cette culture. [...]

Pendant qu'à Saguenay une classe intellectuelle protectrice de l'histoire remue ciel et terre, et avec raison, pour retrouver le nom historique de Chicoutimi, on demeure indifférent à Villeneuve, trésor national canadien. Nous partons. Cette maison nous suivra-t-elle? Plusieurs en seraient ravis...

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