Le vote par Internet, une technologie mûre

Récemment, le directeur général des élections du Québec Pierre Reid proposait aux élus de l’Assemblée nationale d’implanter le vote par Internet au Québec. Pour le DGE, un tel système pourrait aider à résoudre le problème du faible taux de participation comme ce fut le cas aux dernières élections municipales. À la suite des avancées sur le plan technique et des succès de divers systèmes de votation par Internet dans le monde, la proposition du DGE doit être appuyée et concrétisée afin de permettre au Québec d’amorcer la transition d’un système de votation du XIXe siècle vers un système de votation du XXIe siècle.
Le Canada est un pays relativement avancé dans ce domaine. Six provinces ont adapté leurs lois afin de permettre le vote par Internet. Le Québec n’en fait pas partie. La ville de Markham, en Ontario, permet le vote par Internet depuis 2003 et, en 2014, 97 municipalités en Ontario offraient la possibilité de voter par Internet. C’est aussi le cas de plus de la moitié des municipalités en Nouvelle-Écosse. En Alberta, l’entrée en vigueur du vote par Internet était prévue pour les élections municipales de 2013, mais un problème technique a fait en sorte qu’elle a dû être reportée.
Ailleurs dans le monde, c’est également au niveau municipal ou local que la plupart des systèmes de vote par Internet ont été adoptés. La Lettonie représente le seul exemple d’implantation réussie à l’échelle nationale. Dès 2002, le gouvernement de la Lettonie a décidé de développer le vote par Internet et, depuis 2005, les Lettons peuvent choisir entre le bulletin de vote traditionnel et le vote par Internet aux niveaux local, national ou aux élections européennes.
Diverses instances se sont investies dans ce domaine. Depuis plus de dix ans, l’Organisation de sécurité et de coopération en Europe (OSCE) développe une expertise sur les systèmes de vote par Internet. À l’invitation du gouvernement letton, des observateurs de l’OSCE ont suivi les élections nationales de 2011. Leur rapport suggérait diverses améliorations, qui ont été entérinées par le gouvernement de la Lettonie et mises en place lors des élections de 2015, où les observateurs de l’OSCE étaient également présents. De son côté, le Conseil de l’Europe a établi un ensemble de lignes directrices sur les aspects légaux, opérationnels et techniques pour les systèmes de votation par Internet.
Certaines tentatives ont échoué. En 2013, en Norvège, le gouvernement en place envisageait l’implantation du vote par Internet au niveau national, mais l’opposition était farouchement contre. Le gouvernement en place a tergiversé, et ce n’est qu’au printemps 2013 qu’il a autorisé l’utilisation du vote par Internet pour l’automne suivant. Avec si peu de temps, les responsables n’ont pu développer et tester convenablement le système, ce qui a mené à des défaillances.
L’enjeu de la sécurité
L’aspect sécuritaire est l’une des principales inquiétudes invoquées au sujet du vote par Internet. Or des systèmes de vote bien conçus s’inspirent d’approches utilisées avec succès dans d’autres domaines. Les systèmes sécuritaires utilisés aujourd’hui pour effectuer des transactions financières par Internet — paiement de factures, paiement par carte de crédit, dépôts directs, etc. — sont aussi utilisés pour transmettre le vote du citoyen vers le système de votation. Quant au décompte des votes, des systèmes efficaces le font en sauvegardant les votes reçus sur un serveur qui n’est pas connecté à Internet afin de l’isoler du piratage, une technique aussi utilisée par les banques pour conserver une trace des transactions effectuées.
Après une douzaine d’années d’utilisation, aucun problème important n’est apparu lors des élections municipales en Ontario et en Nouvelle-Écosse, ni aux niveaux national ou municipal en Lettonie. Les échecs recensés des différents essais tiennent davantage de la précipitation, comme le cas de la Norvège, de la mauvaise planification ou de choix technologiques douteux. L’approche « par étape » proposée pour le Québec par le DGE reprend celles suivies par les expériences réussies : on commence par un projet-pilote et on déploie plus tard l’outil à plus large échelle.
Les réussites et l’expertise accumulée depuis quinze ans montrent qu’aujourd’hui le vote par Internet a atteint un seuil de maturité qui permet d’envisager son déploiement à large échelle. L’État encourage les citoyens à faire leur déclaration de revenus par Internet, avec tous les renseignements personnels qui y sont contenus. Si un système de votation par Internet a ses particularités, il utilise des technologies connues, qui ont fait leurs preuves et que l’État utilise déjà. De plus, comme le montre la coopération entre l’OSCE et la Lettonie, le système peut être amélioré une fois mis en place.
Deux avantages principaux sont avancés en faveur d’un système de votation par Internet. Le premier concerne les coûts. Si l’implantation d’un système de votation par Internet a un prix, une fois en place il peut entraîner de substantielles réductions de frais lors de la tenue d’un vote. Et comme le soulignait le DGE, le même système peut servir au niveau municipal et au niveau national. Le second avantage est de faciliter l’acte de voter, qui peut se faire à n’importe quel moment avant la date du scrutin et à partir de chez soi.
Ces deux caractéristiques offrent la possibilité de multiplier le nombre de sujets sur lesquels les citoyens et les citoyennes peuvent se prononcer. Et ici, on parle non seulement de consultation, mais surtout de décision. Dans cette perspective, un système de votation par Internet peut permettre de donner un sens à l’expression « souveraineté du peuple ».
Le vote par Internet sera tôt ou tard une réalité. Les élus de l’Assemblée nationale doivent donner suite à l’initiative du DGE afin de doter le Québec des outils de décision politique du XXIe siècle.