L'après-FIND - Les plus grands efforts ne suffisent pas en art contemporain

Presque trois mois se sont écoulés depuis la fermeture du Festival international de nouvelle danse (FIND). Le FIND a été une grande réussite, saluée de toute part, ayant mis en avant la réputation de Montréal comme capitale de la danse contemporaine. Sa programmation était reconnue de haut niveau, malgré le peu de moyens à sa disposition. [...]

Le FIND s'était donné pour objectif de stimuler l'émulation artistique, le développement de publics et le rayonnement international de la danse contemporaine. L'ambition était de mettre sur pied une organisation capable de leadership tant sur le plan artistique que sur le plan de la diffusion et de la recherche de nouveaux publics. Ce mandat multiple a été largement accompli et a engendré de généreuses retombées pour la communauté locale et internationale, ouvrant les portes de l'imaginaire de chacun tout autant que les goussets de nombreux directeurs de théâtres et de festivals sur la scène internationale.

Rappelons que le FIND aura attiré à Montréal plus de 1000 personnalités du milieu international, dont de nombreux directeurs de théâtres et de festivals influents en Europe, aux États-Unis et en Asie. Les plus importantes compagnies canadiennes et internationales s'y sont produites parmi les 400 qui ont été présentées. Le FIND ne s'est cependant jamais limité aux figures consacrées et, très souvent, les découvertes du FIND, ou les compagnies qu'il a soutenues, ont connu des parcours fulgurants.

Efforts inouïs

Malgré ce succès, l'organisme était encore fragile après 20 ans. À la suite d'un déficit encouru en 2001, sous l'effet du 11 septembre qui a dégarni nos salles, nous nous sommes retrouvés devant une situation financière trop lourde à porter pour une organisation sans assises institutionnelles (rappelons que le festival Danse Canada reçoit un soutien important du CNA à Ottawa et que les festivals issus de Spectra, pour prendre un autre exemple, sont en quelque sorte protégés par leur mégastructure).

Laissé à lui-même, le FIND aura fait des efforts inouïs pour sortir de l'impasse laissé par l'édition 2001. Les partenaires gouvernementaux ont été sensibilisés, ce qui nous a apporté 120 000 $, venant résorber en partie le déficit de 455 000 $.

Dans l'intérim, une étude commandée à la firme Raymond, Chabot, Grant, Thornton avait diagnostiqué une saine gestion tout en mettant le doigt sur la lourdeur du déficit encouru par rapport à la taille de l'organisme. Cette étude concluait sur la pertinence d'une aide spéciale de l'ordre de 400 000 $ pour résorber le déficit ou alors d'une aide moins substantielle dans l'immédiat, suivie d'une aide additionnelle dans un deuxième temps. La fermeture, dans le pire des scénarios, était aussi envisagée.

Les dirigeants du FIND ont décidé de lutter pour la survie. Le peu d'aide spéciale en provenance des partenaires gouvernementaux a provoqué beaucoup de découragement et d'incertitude; néanmoins, plan de redressement à l'appui, le FIND a tenté de poursuivre son chemin, avec une programmation réduite en 2003.

De plus, plutôt que de succomber à la crise, le FIND a procédé à une réflexion en profondeur. Une analyse financière poussée a été réalisée dans le but de pouvoir projeter de manière réaliste des revenus et des dépenses sur les cinq prochaines années. Le but de cet exercice était de mettre le FIND à l'abri des conjonctures malheureuses qui ont ponctué son parcours ces dernières années, principalement dues à la nature événementielle du festival et à l'écueil que représentait très certainement sa périodicité bisannuelle.

Sur le plan artistique, il était important, pour planifier l'avenir du FIND, de connaître les enjeux de la discipline. Des discussions nourries avec de nombreuses personnalités du milieu local et international (dont William Forsythe, Anne Teresa de Keersmaeker, Mathilde Monnier, Jean-Pierre Perreault, Marie Chouinard et beaucoup d'autres jeunes et moins jeunes) ont eu lieu. La vision de la danse comme laboratoire de la vie contemporaine s'est raffermie au cours de ces entretiens, vision que nous avions déjà pu entrevoir avec l'édition de 1999, Afrique aller-retour, avec Danses à l'Usine en 2000 et, enfin, avec «le grand labo» en 2001.

Le plan stratégique a donc mis en avant la transformation du FIND en Laboratoire international de recherche et développement de la danse, soit le FIND-Lab, dévoilé à toute la communauté artistique montréalaise le 1er mai 2003. Cette annonce participait de notre volonté d'assumer pleinement le leadership dont nous avons fait preuve par le passé en tenant compte des nouveaux enjeux de la discipline, lesquels confrontent aujourd'hui notre milieu et son développement.

Le plan stratégique donnait lieu à une réorganisation interne du FIND, lui permettant de mieux affronter les années à venir tout en s'appuyant sur les multiples partenariats locaux et internationaux qui ont toujours fait la force du FIND. Rares sont les organisations qui se remettent ainsi en question en s'interrogeant sur les fondements mêmes de leur activité, mais c'est ma ferme conviction que c'est la seule voie à suivre pour vraiment avancer.

Réduction du financement public

Une réduction de financement public pour l'édition 2003, équivalente à 200 000 $ de moins qu'en 2001, ajoutée au déficit résiduel de 2001 et à un manque à gagner de 100 000 $ en revenus de billetterie, explique l'impossibilité de rencontrer les visées du plan de redressement, malgré des coupes supplémentaires dans les dépenses, et le déficit accumulé de

600 000 $ en 2003.

De plus, nous n'avons pu obtenir aucune subvention spéciale pour la venue du Ballet Francfort, événement majeur de la vie culturelle montréalaise, alors qu'il n'était pas anormal de compter sur un tel appui de la part de gouvernements qui y ont consenti dans d'autres disciplines. Malgré des appels urgents auprès des partenaires gouvernementaux à l'été qui avait précédé le dernier festival autant que pendant et après, nous n'avons reçu aucune aide spéciale pour combler des besoins pressants en liquidités.

L'impossibilité d'attendre de nouveaux développements quels qu'ils soient, ne serait-ce que le temps de faire appel à nos supporteurs, a entraîné la fermeture quasi immédiate de l'organisme. Aucun nouveau plan de redressement n'était même envisageable à ce stade-ci compte tenu de la détérioration rapide de la situation. Plus question de gestion imaginative et serrée à ce point de non-retour.

Comment se fait-il qu'aucun de nos conseils des arts n'ait pu intervenir? Chacun avance ses raisons, en l'occurrence toujours la même: la non-disponibilité de fonds. Est-il normal que les instances responsables de la culture dans notre pays n'aient aucune marge de manoeuvre pour agir en cas d'urgence et de nécessité pour sauver l'existence d'un organisme exceptionnel qui a fait ses preuves? Pourquoi faut-il s'en remettre au gouvernement lui-même, qui n'agit que s'il s'agit d'organismes liées au show-business ou à la culture traditionnelle? [...] Quel message envoyons-nous ainsi à la communauté internationale? Quelle image de nous-mêmes projetons-nous?

La situation chronique dans laquelle le FIND a été placé, faute d'interventions rapides et efficaces après la calamité de 2001, montre bien qu'il n'y a pas de secours possible pour soutenir le développement des arts contemporains au pays. Les dernières années, tant au fédéral qu'au provincial, ont été axées sur la diversification, c'est-à-dire sur la répartition tous azimuts d'enveloppes budgétaires trop restreintes pour se permettre de telles actions, non dénuées de calcul politique. Le Québec et le Canada se retrouvent aujourd'hui avec une multitude d'organisations vivotant de peine et de misère et réduites à l'état de perpétuel «quêteux».

Même en voulant faire les choses sérieusement et en se dotant de plans stratégiques étoffés, rien ne réussit à faire avancer une cause dans le domaine des arts. Le plan stratégique du FIND, un modèle du genre selon certains spécialistes (produit au bout d'un an et demi de tables rondes, d'entretiens et de rédaction élaborée, processus soutenu par des experts-conseils), n'aura même pas été sérieusement discuté et analysé au sein des officines gouvernementales. [...]

La fermeture du FIND, ou plutôt l'indifférence qui a mené à cette fermeture, est un mauvais calcul, s'il en est, de la part de nos gouvernements et de leurs instances. La dernière édition a en elle-même rapporté de nombreux contrats aux compagnies participantes de même qu'aux compagnies montréalaises, dans le cadre du FIND ou du off-FIND, où se sont produites près de 100 compagnies en 2003. Ces retombées, achats de spectacles, tournées, résidences, coproductions, se calculent à hauteur de plusieurs millions de dollars. [...]

On entend dire que nos responsables gouvernementaux seront bientôt prêts à recevoir un autre projet de festival. Que comprendre de cette précipitation alors que rien n'a été fait pour sauver le FIND?

Le budget nécessaire pour un organisme qui reprendrait le rôle de locomotive de développement joué par le FIND est de l'ordre de trois millions de dollars, selon les données élaborées dans le contexte de notre plan stratégique. On parle ici de financer un organisme international qui s'occupe de soutenir toute la communauté contemporaine de danse. Pourquoi se scandaliser d'un tel chiffre quand on sait que les Grands Ballets canadiens disposent d'un budget annuel de plus de huit millions et que leurs déficits récurrents sont régulièrement comblés par les instances publiques (aide de 2,4 millions ces dernières années)? Le milieu de la danse contemporaine ne mérite-t-il pas d'avoir en son sein un organisme d'envergure?

Voici quelques exemples tirés des budgets d'organismes dont les mandats sont similaires: en 2003, le FTA disposait d'un budget de 2,7 millions, mais le FIND a dû composer avec 1,8 million; l'Agora de la danse a reçu du CALQ 501 500 $ en 2002 et 431 500 $ en 2003 alors que le FIND n'a reçu que 298 200 $ pour chacune de ces années; pour ce qui est des Productions Loma (Danse-Danse), cet organisme a reçu du CALQ 152 250 $ en 2002 et 212 490 $ en 2003. Ces chiffres montrent bien que le sous-financement du FIND n'était pas normal. Comment, quand on compare les programmations de chacun, ne serait-ce que sur le plan quantitatif, expliquer ces disparités?

Il est quand même stupéfiant de constater que certains croient pouvoir balayer du revers de la main les acquis historiques du FIND pour remplacer aussitôt celui-ci par n'importe quel autre projet, conçu à la va-vite, sans assises conceptuelles fortes. Collectivement, il faut chercher à éviter une telle erreur. Donnons la chance à de nouvelles forces vives d'émerger, dans la continuité du FIND, déployant un même esprit d'ouverture et de rigueur artistique.

Quand j'ai commencé à présenter de la danse dans les années 70 à Montréal, j'étais dans la jeune vingtaine et animée du désir de faire connaître les artistes d'ici et d'ailleurs qui venaient révolutionner notre imaginaire engourdi. Ce désir m'a insufflé l'énergie et la détermination nécessaires qui m'ont éventuellement donné le courage de «tenir» le FIND pendant 20 ans.

Dans la foulée de cet engagement, ayant longuement réfléchi sur ce que doit maintenant être une véritable locomotive de développement pour la danse, je maintiens qu'un projet axé sur la recherche et la multidisciplinarité, souple et créatif quant à ses programmes et orientations, demeure le plus approprié, le plus nécessaire et potentiellement le plus fertile. En plus de financements appropriés pour contrer son extrême fragilité, la danse à Montréal a besoin de sang neuf et d'énergies vives qui puissent porter milieu et public encore plus loin.

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