Donald Trump et les divisions au sein du Parti républicain

Malgré l’apparente unité du parti républicain dans le sillage de la réforme fiscale et les nombreux témoignages de loyauté au président, la fracture au sein du mouvement conservateur américain demeure béante.
L’émergence de Roy Moore en Alabama, un ultraconservateur anti-immigration et anti-homosexualité battu de justesse par son opposant démocrate, incarne parfaitement le schisme entre l’aide traditionnelle du Parti républicain, principalement axée sur un allégement ou une élimination de la réglementation, une réduction du fardeau fiscal et la réduction des dépenses de l’État et l’aile nationaliste, protectionniste et anti-establishment portée par Donald Trump lui-même et son ex-conseiller Steve Bannon.
Selon ce que rapportent les sondages, la réforme fiscale est l’une des plus impopulaires de l’histoire américaine, tout juste devant le projet d’abroger et de remplacer l’Obamacare. Il apparaît clair que la plateforme classique des républicains n’a plus la faveur de l’électorat. Dans ce contexte, le Parti n’a eu d’autre choix que de conclure un pacte faustien avec Donald Trump, qui a su rallier une base parfois hostile aux républicains traditionnels.
Selon une partie de la base électorale de Donald Trump, principalement issue de la classe travaillante blanche avec moins d’éducation formelle, le Parti républicain n’a pas réussi à renverser l’immobilisme et la corruption de la classe politique ou la propagation d’un éthos libéral porté sur la rectitude politique, l’immigration de masse, le métissage culturel et la défense des minorités au profit des Américains blancs.
Toujours selon cette tranche de l’électorat, les transformations culturelles récentes qui ont marqué les États-Unis représentent une double menace. Elles posent un risque concret à la sécurité dans la mesure où la porosité des frontières encourage les terroristes à affluer en sol américain et elles menacent la pérennité d’une Amérique majoritairement blanche.
Ressac contre la mondialisation
Ce sentiment d’insécurité, jumelé à la précarité grandissante du marché de l’emploi, se traduit par une exigence de contrôle total sur les flux de population et de biens et service. Ce qui s’incarne dans le soutien à un projet de mur et dans l’abrogation de traités de libre-échange. En fin de compte, ces réactions témoignent d’un ressac contre la mondialisation et contre la classe politique qui l’a facilitée et en a bénéficié.
Le Parti républicain, traditionnellement favorable à l’immigration légale et au libre-échange, et associé à une élite méritocratique blanche, abrite maintenant les laissez pour compte de la mondialisation. Malgré certaines réserves, cette section de l’électorat s’identifie au conservatisme social du Parti et à des figures insurrectionnelles comme Donald Trump. La majorité républicaine au Congrès est donc le résultat d’une coalition électorale précaire, dont les deux ailes ne pourraient pas ravir la présidence par elles-mêmes.
Mais le principal problème qui se pose pour le Parti républicain et, plus encore pour le mouvement conservateur américain, est de nature idéologique ou philosophique. Il ne faut pas oublier que Donald Trump a promis de mater les intérêts particuliers et de contrer l’influence de l’argent sur le processus politique pendant la campagne. Il avait aussi promis d’épargner certains programmes populaires comme Medicare (soins de santé aux 65 ans et plus). Ces promesses sont de moins en moins réalistes considérant le trou béant que la baisse d’impôt va laisser dans les finances publiques. Par conséquent, le chef de la Chambre des représentants Paul Ryan a dit vouloir s’attaquer aux programmes les plus coûteux l’année prochaine en vue d’amortir le coup.
Critiquer le président
De son côté, l’ex-conseiller du président, Steve Bannon, a exprimé des inquiétudes quant aux conséquences politiques de la réforme fiscale, largement à l’avantage des Américains les plus fortunés. Rappelons que Bannon avait évoqué l’imposition d’une taxe de 44 % pour les individus au revenu de 5 millions et plus. À l’usure, plus d’inégalités, moins de pouvoir d’achat et plus de largesses pour l’élite financière et économique risquent de contrarier les partisans les plus endurcis du président.
Quelques sénateurs dont Bob Corker et Jeff Flake ont critiqué le président publiquement, en sachant pertinemment qu’un tel geste marquerait probablement la fin de leur carrière politique. On se souviendra de la sortie de Jeff Flake plus tôt cette année, qui, dans un vibrant plaidoyer, avait appelé ses collègues à briser leur silence sur les nombreuses indignités du président et à défendre les principes fondateurs de la République. Pourtant, la très forte majorité des élus républicains se garde de critiquer le président par crainte pour ses chances de réélection ou dans l’espoir qu’il réalise le programme traditionnel du Parti.
En soutenant une figure aussi impopulaire et polarisante que Trump, le Parti républicain s’approche dangereusement de la faillite morale. Plusieurs républicains sont très inquiets par rapport aux chances du Parti aux élections de mi-mandat en 2018 et souhaitent un adoucissement des positions sur l’immigration et le libre-échange ainsi qu’un environnement politique moins partisan. Par contre, cette stratégie pourrait fort bien être rejetée par la base fidèle du président et les entrepreneurs politiques comme Steve Bannon, qui ne manqueront pas de demander la tête des candidats de l’establishment.
En clair, le pacte entre l’élite du Parti républicain et la « fronde-establishment » menace son agenda et sa cohérence idéologique. Ces divisions ne manqueront pas d’éclater au grand jour en 2018.