Des détenus pas au bout de leurs «peines» à Guantánamo

Tout au bout de l’île de Cuba, une autre année a passé, dans l’ombre, pour les prisonniers toujours détenus dans ce symbole d’abus et de non-droit qu’est la prison américaine de Guantánamo. Même si leur sort est largement occulté dans les médias canadiens, l’année 2017 a encore été marquée de nombreuses et graves violations de leurs droits fondamentaux.
Parmi les 41 détenus que le président Obama a laissés derrière lui à Guantánamo, 31 sont considérés comme étant en détention indéfinie en vertu d’une interprétation abusive du droit de la guerre, 7 sont en attente de procès — y compris les 5 suspects de l’attaque du 11 septembre 2001, dont le procès semble avoir stagné en phase préliminaire — et seulement 3 ont été condamnés. Pourtant, en vertu des obligations de droit international qui lient les États-Unis, toute personne détenue pour un motif pénal bénéficie de la présomption d’innocence et doit être jugée par un tribunal compétent, indépendant et impartial sans délai excessif. Le droit international interdit de détenir quelqu’un indéfiniment sans qu’il ait bénéficié d’un procès juste et équitable, les seules exceptions à cette règle entrant en ligne de compte seulement pendant la durée d’un conflit armé international, c’est-à-dire lors d’une guerre opposant deux pays — ce qui n’est pas le cas ici.
Prohibition de la torture
Mais ce n’est pas tout. Selon une déclaration récente du rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, celle-ci a toujours cours à la prison de Guantánamo. Malgré les nombreuses modifications du cadre juridique entourant la détention à cette prison depuis son ouverture en 2001, les détenus seraient encore soumis à de mauvais traitements. Le rapporteur spécial souligne, à ce titre, le cas de Ammar al-Baluchi, qui aurait été gardé en isolation pendant plus d’une décennie.
Le rapporteur spécial dénonce également la politique d’impunité des États-Unis à l’égard de leurs agents ayant soumis les prisonniers à des mauvais traitements ou à de la torture. Une telle politique dénote non seulement une attitude de tolérance à l’égard de ces actes, mais prive également les victimes de l’accès à des mesures de réhabilitation ou de compensation. Cette impunité est d’ailleurs un aspect auquel le Canada pourrait parer s’il décidait d’exercer sa compétence universelle, en vertu de la Convention contre la torture et du droit canadien, à l’égard des agents américains ayant mis sur pied ou pratiqué la torture, lorsqu’ils sont de passage sur son territoire. L’autorisation du ministre de la Justice requise pour procéder ainsi a par le passé bloqué toutes les initiatives en ce sens provenant de groupes de victimes appuyées par des ONG de droits de la personne.
Finalement, le rapporteur spécial rappelle que, selon la loi encadrant la détention et la poursuite des détenus de Guantánamo (Military Commission Act 2009), des éléments de preuve obtenus sous la torture peuvent toujours être admis devant les commissions militaires chargées de juger de la culpabilité des détenus. L’admission de tels éléments de preuve viole sans équivoque le droit international.
Et le Canada dans tout ça ?
Le Canada, contrairement à ce qu’on tend souvent à penser, n’est pas blanc comme neige en matière de torture. Outre les violations des droits d’Omar Khadr, auxquelles il a finalement reconnu avoir collaboré, le Canada a également dû s’excuser, en 2017, auprès de trois de ses ressortissants, Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin, ayant été torturés en Syrie et en Égypte entre 2001 et 2004.
Et, parlant d’Omar Khadr, il n’est pas au bout de ses déboires avec la justice. L’appel de sa culpabilité est toujours en attente devant les tribunaux américains. Les derniers mois lui ont à ce titre apporté une mauvaise nouvelle puisque la Cour suprême des États-Unis a, cet automne, rejeté, sans explications, l’appel d’Ali Hamza Ahmad Suliman al-Bahlul, un homme toujours détenu à Guantánamo. Si la Cour suprême avait, au contraire, accueilli son appel, fondé sur le défaut de compétence constitutionnelle des commissions militaires pour tenir un procès pénal, les condamnations de Khadr, en vertu de ce précédent, auraient, à terme, fini par tomber également. Pourtant, étant donné que le dernier recours judiciaire de Al-Bahlul a été débouté cet automne, le suspense reste entier pour Khadr dans l’attente que la Cour d’appel entende enfin son appel.
Du côté du gouvernement canadien, le ministre de la Défense nationale Harjit Sajjan Singh publiait, la semaine dernière, de nouvelles directives à l’attention de son ministère, des Forces armées canadiennes et du Centre de la sécurité des télécommunications. Celles-ci sont très similaires à celles publiées cet automne par le ministre de la Sécurité nationale Ralph Goodale destinées aux agents de la GRC, du SCRS et de l’Agence des services frontaliers.
Même si les directives des deux ministères visaient à « éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements par des entités étrangères » et à « condamne[r] la torture et le mauvais traitement ainsi qu’[à réitérer] l’engagement du Canada à l’égard de la primauté du droit », elles maintiennent des brèches béantes dans le respect de la prohibition absolue de la torture. Selon ces directives, les agences fédérales chargées de la sécurité nationale et de la défense ont toujours le droit, en 2017, d’utiliser des renseignements obtenus sous la torture dans les cas où cela est jugé « nécessaire pour éviter des pertes de vie ou des sévices graves à la personne » ou « lorsque, par exemple, les renseignements portent à croire que la personne est sur le point de commettre un acte terroriste. » L’ensemble de ces organismes conservent également le droit de communiquer, dans certains cas, des informations obtenues sous la torture si le « risque substantiel » de mauvais traitement d’une personne « peut être atténué » par les autorités canadiennes.