Réfugiés: le Canada peut montrer la voie

Depuis des décennies, nombre de pays font face à l’arrivée, souvent massive et désorganisée, de migrants et de réfugiés. Il faut reconnaître que, jusqu’ici, le Canada a été épargné. Cependant, cette position relativement privilégiée à l’ère des flux migratoires à l’échelle mondiale a été remise en question par le nombre d’arrivées irrégulières cet été, notamment au Québec.
Bien sûr, les chiffres ici restent faibles en comparaison de ceux d’autres pays : quelque 21 000 personnes ont traversé de manière irrégulière la frontière canado-américaine en un an alors qu’en un seul jour plus de 50 000 Rohingyas se réfugiaient au Bangladesh. Bien sûr, aussi, le Canada peut s’enorgueillir — et à juste titre — d’avoir accueilli ces demandeurs d’asile, principalement originaires d’Haïti, avec des standards de réception et d’intégration qui font la force de ce pays d’immigrants.
Et contrairement à certaines peurs véhiculées par des oiseaux de mauvais augure, le système d’asile n’a pas cédé sous le poids de ces nouvelles demandes d’asile et les frontières restent sûres et bien gardées, les autorités compétentes ayant pris les mesures nécessaires. La compassion et le sens du devoir envers ceux qui cherchent protection ont triomphé de ces peurs.
La tentation pourrait être grande, toutefois, pour le Canada de se replier sur soi et de se concentrer sur ses besoins intérieurs — « besoins » plutôt que « problèmes » car, pour un pays comme le Canada, recevoir quelques dizaines de milliers de demandeurs d’asile n’est pas en soi un problème. D’autant plus qu’en 2016, le pays avait déjà accueilli un nombre record de réfugiés, principalement syriens, à travers la réinstallation. Certains de mes interlocuteurs me répètent ces jours-ci qu’ils craignent que l’arrivée de demandeurs d’asile et de «réinstallés» en plus grand nombre ces derniers temps ne donne à d’aucuns le sentiment que le Canada n’a plus à se soucier des réfugiés, ayant déjà fait beaucoup pour eux.
Servir d’exemple
Je crois qu’au contraire, l’expérience vécue cette année peut nous servir d’exemple et donner tout son sens à la notion de partage des responsabilités. N’oublions pas que 85 % des réfugiés restent dans les pays limitrophes aux conflits, en particulier sur le continent africain, soit dans des pays qui souvent luttent contre la pauvreté de leurs propres citoyens. L’écart entre les budgets nécessaires pour répondre aux besoins humanitaires des personnes déplacées et les financements reçus par les Nations unies et les ONG ne cessent de s’agrandir. Notre incapacité collective à mettre fin aux conflits et à les prévenir signifie que le retour à la maison de ces populations — qui est leur souhait principal — devient un objectif de plus en plus illusoire à court terme. Par le passé, la solidarité entre pays riches et ceux en première ligne à qui incombe le fardeau de recevoir les réfugiés s’exprimait, en autres, par la réinstallation des plus vulnérables. Cette solidarité, néanmoins, s’amenuise. Avec 43 % de places en moins pour la réinstallation globalement, moins de 1 % des réfugiés seront réinstallés dans un pays tiers en 2018. L’année prochaine, le Canada recevra 9000 des 1,2 million de réfugiés que mon organisation, le Haut-commissariat aux réfugiés, a identifié comme ayant besoin de cette solution pour survivre.
Lors de sa visite dans la Belle Province au début du mois de novembre, le haut-commissaire, Filippo Grandi, a été une fois encore émerveillé par les élans de solidarité et les services mis en place pour l’intégration, en particulier socio-économique, des réfugiés. Il a aussi pris bonne note du souci du gouvernement fédéral de placer les femmes au centre de ses priorités, et de manière notable à travers sa politique d’aide internationale. En effet, plus des trois quarts des personnes sous son mandat sont des femmes et des enfants : ils sont les premières victimes des conflits et des déplacements forcés, comme ne cesse de le répéter le HCR.
Parce qu’il a les outils pour recevoir et intégrer davantage de réfugiés sur son sol, le Canada peut montrer la voie. Parce qu’il est un pays dit riche et protégé, du fait de sa géographie, des grands flux migratoires affectant le XXIe siècle, le Canada se doit aussi de montrer sa solidarité envers ces pays qui ont gardé leur porte ouverte à ceux qui viennent s’y mettre à l’abri des conflits et des persécutions. Ce pays, sa population et ses leaders politiques peuvent, une fois encore, avoir un impact alors que d’autres hésitent à franchir le pas. C’était essentiellement le message du haut-commissaire durant sa récente visite, alors qu’il félicitait le Canada tout en lui demandant de faire encore plus pour les réfugiés. Je suis persuadé que son message sera entendu.