Les stages, du travail sans droits

Le 24 novembre dernier, Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé annonçaient vouloir mettre fin au « cheap labour » et s’attaquer au « fléau des stages non rémunérés ». Pour ce faire, les co-porte-parole de Québec solidaire ont indiqué qu’un gouvernement formé par leur parti tiendrait un sommet pour dessiner les contours d’une politique nationale des stages qui inclurait « définition commune, encadrement légal, rémunération et compensation ». QS considère donc le statut de stagiaire comme unique et propose de l’encadrer par une réglementation qui lui est propre. Mais les stagiaires ont-ils besoin d’une définition particulière ? Et s’il s’agissait d’un cadeau empoisonné ?
Alors que le nombre de stages, obligatoires ou non, à réaliser dans le cadre d’un parcours scolaire s’accroît de manière exponentielle, il devient difficile de nier l’occasion pour les employeurs, notamment dans la fonction publique, d’obtenir de la main-d’oeuvre à coût nul. Le constat de départ est donc juste : les stagiaires sous-payés ou non rémunérés constituent des travailleuses et travailleurs exploités, et leurs conditions de travail sont inacceptables. Cela dit, les stagiaires ne peuvent se réjouir des solutions proposées par QS ; il est même à penser que leur précarité n’en serait que renforcée.
L’exemple le plus éloquent est l’offre d’une compensation financière plutôt qu’une rémunération, revendication partagée avec la CAQ, les jeunes du PLQ et le PQ. Une compensation a pour finalité de dédommager financièrement les stagiaires pour le temps durant lequel ils et elles ne peuvent pas occuper un autre emploi ; elle n’a pas pour fonction de rémunérer le travail qui est fait. Il y aurait donc immanquablement séparation entre employés et stagiaires. Ce faisant, on annonce aux stagiaires que leur travail est reconnu, qu’ils et elles continueront d’assumer des tâches autrement rémunérées, mais qu’ils et elles ne pourront se revendiquer des mêmes droits ou obtenir le même dû.
Rémunération plutôt que compensation
Les raisons d’être de la compensation et de la rémunération sont incompatibles et leurs effets sont incomparables. La fonction la plus manifeste de la rémunération est probablement celle d’allouer aux travailleurs et travailleuses de l’argent pour subvenir à leurs besoins. Toutefois, ces effets ne sont pas limités à des considérations financières.
Au Québec, effectuer un travail salarié donne accès aux protections de la plupart des lois traitant de l’emploi, communément appelées les « lois du travail ». On peut penser à la Loi sur les normes du travail, à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ou à la Loi sur l’assurance-emploi. Ces lois engagent les employeurs à assumer la compensation de certaines conséquences du travail, par exemple en assurant une indemnisation à la personne en arrêt de travail à la suite d’un accident du travail. Alors que la réforme de la Loi sur les normes du travail annoncée par le PLQ tarde à être dévoilée, on ne peut que souhaiter que ces distinctions soient prises en compte.
Certains diront que là est la question. Gabriel Nadeau-Dubois nous dira plutôt « qu’il faut une politique qui va répondre aux besoins par rapport aux stages dans chacun des milieux. On ne peut pas dire que c’est le gouvernement qui va payer pour tout le monde ni que c’est le privé qui va payer pour tout le monde. »
Je ne suis pas de cet avis. La capacité de payer des employeurs, qu’ils soient du domaine privé ou public, n’est absolument pas pertinente dans une discussion traitant de la nécessité d’une rémunération. Sommes-nous en train d’assumer qu’il y aurait une situation financière justifiant l’exploitation du travail gratuit ? La préoccupation du fardeau financier des employeurs devient le premier échelon d’une justification du cheap labour, le problème auquel on dit vouloir répondre.
Bien sûr, les milieux de stage ont des réalités financières différentes. Mais la singularité des employeurs est fait courant : le dépanneur du coin et le Walmart ne pourraient pas se décrire comme semblables. Ces différences n’ont cependant aucune incidence sur leur obligation de rémunérer les personnes qui travaillent pour eux et sur leur respect des conditions minimales d’emploi en vigueur au Québec.
Nous faisons donc face à un faux dilemme. Lorsque ton budget ne te permet pas d’embaucher une personne, alors tu t’en prives.
Et la conciliation travail-famille, parlons-en !
L’annonce d’une réflexion entourant la compensation des stages se faisait alors qu’une semaine plus tôt, QS déposait le projet de loi no 999 (Loi modifiant la Loi sur les normes du travail afin d’améliorer les conditions de travail minimales et de favoriser la conciliation travail-famille), surnommée la « loi anti-burnout ». Nadeau-Dubois soulignait en entrevue que la surcharge de travail (notamment causée par l’absence d’un droit de refuser d’effectuer des heures supplémentaires) est devenue une source de stress importante. Il est plutôt saugrenu de le voir marteler la nécessité de s’intéresser aux réelles possibilités de concilier des obligations familiales avec le travail, tout en proposant une simple compensation pour les stagiaires. Le premier cheval de bataille de la conciliation travail-famille est certainement celui de la réduction du temps de travail. Or, la seule façon concrète et sérieuse d’envisager une réduction du temps de travail est celle d’assurer aux travailleuses et travailleurs un salaire et des conditions de travail minimales pour le travail effectué… y compris lors des stages !
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