Le sexisme tranquille en éducation

Faire croire que la prédominance féminine dans la profession enseignante jouerait d’une quelconque manière dans les difficultés scolaires ou les choix de carrière des garçons relève de la malhonnêteté intellectuelle.
Photo: iStock Faire croire que la prédominance féminine dans la profession enseignante jouerait d’une quelconque manière dans les difficultés scolaires ou les choix de carrière des garçons relève de la malhonnêteté intellectuelle.

Au printemps dernier, le ministre Sébastien Proulx dévoilait, en grande pompe, le contenu de sa Politique de la réussite éducative. Les lecteurs avisés auront tôt fait de reconnaître les simplismes dont raffolent les nombreux pédagocrates et autres experts patentés de la pédagogie. Ces adeptes dévoués d’un pédagogisme virulent et des supposées « données probantes » considèrent l’école publique comme un immense laboratoire dans lequel ils peuvent expérimenter, sur les profs et leurs élèves, leurs théories fumeuses. Malgré leurs échecs, ils réussissent encore et toujours à définir l’agenda des ministres de l’Éducation qui se succèdent, il faut quand même le souligner, à un rythme fou depuis une vingtaine d’années. Le ministre Sébastien Proulx est le 14e titulaire depuis 1994 !

Un de ces simplismes, qui s’appuie sur une croyance ou une lubie personnelle, se retrouve à la page 51 de la politique gouvernementale et repose sur l’idée que « la faible présence de modèles masculins est une dimension importante qu’il faut considérer dans la réussite éducative des garçons ».

Le ministre de l’Éducation a donc fait sien un discours masculiniste qui cherche à faire croire que la présence marquée des femmes dans l’enseignement, particulièrement au primaire, expliquerait en partie les difficultés scolaires que rencontrent de nombreux garçons. Le ministre Proulx n’est pas le seul à tenir des propos qui ont pour effet de disqualifier les enseignantes. On peut ici rappeler le point de vue de Pierre Potvin, consultant en éducation et en psychoéducation, qui considère que l’une « des conséquences possibles [du problème de scolarisation des garçons et des hommes] est le passage à une autre inégalité des sexes homme-femme, mais à l’envers avec une absence importante des hommes et une prédominance des femmes dans la profession ».

Selon cette logique, le fait que la profession enseignante soit à prédominance féminine constituerait une forme de « sexisme à l’envers ». On peut aussi citer le professeur associé au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval, Égide Royer, qui affirme que « dès le baccalauréat en enseignement, les jeunes hommes trouvent parfois difficile de n’étudier qu’avec des femmes et réalisent que ce sera la même chose une fois sur le marché du travail ». Il y a aussi les propos de Claude Mailloux, qui a déjà dénoncé la « matantisation » dont serait victime, selon lui, l’école québécoise. Ces propos s’ajoutent à bien d’autres déjà entendus dans le monde de l’éducation et qui cherchent à faire croire, que ce soit à l’école, à l’université ou dans la salle des profs, que les garçons seraient désavantagés du simple fait qu’ils seraient moins nombreux que les femmes, qu’elles soient enseignantes, collègues d’université ou de travail. Il importe de souligner que les affirmations de MM. Potvin, Royer et Mailloux, reprises par le ministre Proulx, ne sont aucunement soutenues par la recherche.

Malhonnêteté intellectuelle

 

Le fait de dire que la profession enseignante est une profession à prédominance féminine constitue une lapalissade. Mais faire croire que cela jouerait d’une quelconque manière dans les difficultés scolaires ou les choix de carrière des garçons relève de la malhonnêteté intellectuelle. Ce faisant le porte-voix de ce simplisme, le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, laisse croire qu’une enseignante ne peut incarner un modèle d’autorité auprès des garçons. Ceux qui se cachent derrière ce simplisme cherchent à huiler une mécanique qui banalise le sexisme en éducation et le maintien du discours paternaliste qui continue de caractériser les relations entre les enseignantes et leurs patrons.

Comment expliquer qu’un simplisme aussi violent à l’endroit des femmes ait pu se retrouver dans la politique du ministre Proulx ? Étrangement, même si ce simplisme est relayé par un groupe assez restreint d’individus, il a acquis de la crédibilité dans le monde de l’éducation du simple fait qu’il a circulé en boucle au sein de quelques réseaux. Ces derniers, qui regroupent peu de personnes, disposent cependant d’une capacité d’influence dont l’efficacité commande l’admiration. Ces groupuscules savent se faire entendre, particulièrement auprès des bonzes du ministère de l’Éducation.

L’ignorance de certains des titulaires du portefeuille de l’éducation constitue justement le terreau idéal dans lequel prolifèrent certains de ces mensonges. Après tout, on ne peut demander à un ministre de déceler le subterfuge quand lui-même ne maîtrise pas les codes qui sont utilisés pour l’échafauder. La profession enseignante souffre de cette ignorance qui conduit le gouvernement à faire de mauvais choix. Celui-ci rend les profs responsables des maux qui affligent le réseau des écoles publiques, mais prend soin de les priver des moyens et des ressources dont ils ont besoin pour accomplir leur travail. Le niveau de détresse psychologique qui prévaut dans les écoles et les centres témoigne bien du caractère insoutenable de la situation.

Enfin, comment expliquer que les enseignantes continuent d’être la cible de ces attaques, si ce n’est qu’elles trouvent leur source dans les rapports inégalitaires entre les femmes et les hommes ? L’histoire de la profession enseignante est marquée par le combat pour l’émancipation des institutrices et la reconnaissance de leur expertise. Ce fut le combat de Laure Gaudreau et de milliers d’autres femmes qui luttèrent avec acharnement. Les propos dévalorisants, malheureusement relayés par le ministre Proulx à l’égard des enseignantes, témoignent bien de la nécessité de poursuivre ce combat qui doit permettre la pleine reconnaissance de l’expertise enseignante. Plutôt que d’écouter de supposés experts, le ministre Proulx aurait avantage à écouter les milliers d’enseignantes qui travaillent auprès des élèves jeunes et adultes. Mais pour cela, il faut du courage. Le genre de courage qui fait justement défaut à ceux qui se permettent d’attaquer si librement la profession enseignante.

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