Les drones armés vont-ils remplacer le Casque bleu canadien?

Depuis plusieurs années, de nombreuses voix se sont fait entendre au sein de l’armée pour appeler le Canada à s’équiper de drones. En 2014, le Guide d’acquisition de la Défense annonçait que le pays acquerrait un système d’armes sans pilote pour ses opérations nationales et internationales.
Alors que le gouvernement fédéral présente ses « engagements conjoints » au profit des opérations de maintien de la paix (OMP) des Nations unies, force est de constater que l’appétence pour les systèmes de combats manoeuvrés à distance s’accroît.
En effet, comme l’indique la nouvelle politique de défense du Canada, ces systèmes permettraient « d’extraire les humains de situations dangereuses » et donc de contrebalancer la réticence d’Ottawa à engager du personnel dans les OMP.
Comme le soulignait Bruno Charbonneau en août 2016 dans Le Devoir, le recours aux drones offrirait, d’ailleurs, une possibilité au Canada de réduire « les tensions entre la résolution des conflits et les objectifs contre-terroristes ». Justin Trudeau soulignait lui-même, en 2016, l’intérêt des drones dans les OMP, établissant ainsi un lien clair entre les deux sujets.
De là à ce que le drone remplace le Casque bleu canadien, il n’y a qu’un pas, aisément franchissable.
Les drones et le Canada
Dès 2001, Ottawa affichait son ambition de se doter de forces armées pouvant s’adapter aux différentes menaces, ainsi que son intérêt pour les drones. En 2012, le gouvernement Harper envisageait l’emploi de drones pour assurer la surveillance de l’Arctique et en août 2016, puis en juin 2017, Justin Trudeau réaffirmait la volonté d’Ottawa de se doter de drones, avant que la politique de défense du Canada ne souligne leur « potentiel énorme ».
Une dynamique s’est mise en place depuis les déclarations de l’an dernier : elle s’inscrit dans le cadre du projet SATP (systèmes d’aéronefs télépilotés), qui entame sa phase « analyse des options ». Le Guide d’acquisition de la Défense précise par ailleurs que le remplacement des systèmes existants par « un système d’aéronefs sans pilote (SASP) pour soutenir les opérations nationales et internationales des Forces armées canadiennes » se fera de 2026 et 2036 pour un coût compris entre 500 millions et 1,5 milliard de dollars.
Si les enjeux sont ici liés à des questions de défense, le développement des drones s’inscrit dans un cadre plus large. En effet, selon le rapport 2017 du Teal Group, les drones représentent « le secteur à la croissance la plus dynamique de l’industrie aérospatiale mondiale » pour la prochaine décennie. Bien que les applications civiles affichent la plus forte croissance, elles comptent pour moins de 30 % du marché, contre 70 % pour le domaine militaire, comme l’indiquait le Teal Group.
Ce marché est donc extrêmement porteur, avec des enjeux commerciaux et financiers extraordinaires tant à l’échelle internationale que nationale. Dans un mémoire publié en avril 2015, le Centre d’excellence sur les drones anticipait d’ailleurs, au seul échelon canadien, des « retombées économiques directes du développement de l’industrie du drone d’ici 2020 […] estimées à plus de 70 millions de dollars ».
Point qui n’aura pas échappé aux rédacteurs de la politique de défense du Canada, qui soulignent la perspective d’« emplois bien rémunérés » et « d’exportations importantes ».
De nombreuses inquiétudes
Pour autant, derrière les intérêts stratégiques, politiques ou encore économiques indiscutables que présentent ces systèmes, se terrent quelques perspectives inquiétantes. Si le Canada opère déjà des drones dévolus à des missions de surveillance, la volonté de mettre en oeuvre des drones armés est désormais clairement affichée. Ainsi, en 2016, le général Vance affirmait qu’avoir un drone pouvant détecter un danger sans pouvoir le frapper lui semblait dénué de sens.
Au-delà même des problèmes juridiques et éthiques liés à l’emploi de drones armés, il semble qu’Ottawa s’intéresse également aux systèmes d’armes létaux autonomes (SALA), c’est-à-dire équipés d’intelligence artificielle.
La tenue récente d’une consultation avec la société civile sur les SALA, organisée par Affaires mondiales Canada (AMC) et le ministère de la Défense nationale, semble le démontrer. AMC avait d’ailleurs dépêché un de ses représentants à un atelier d’experts réunis à l’Université d’Ottawa, en octobre dernier, pour traiter de la confiance dans la politique de développement des SALA.
Or, ces systèmes sont au centre d’âpres débats internationaux sur leur légalité et leur moralité, soulignées, entre autres, par la campagne Stop Killer Robots depuis 2012.
Bien que le Canada ait signé, avec 53 autres pays, une déclaration commune sur la vente et l’usage de drones armés, insistant sur le fait que ces systèmes devront respecter le droit international et être utilisés de manière responsable, les risques de dérives restent élevés.
En organisant des discussions avec la société civile, Ottawa tente de démontrer sa bonne volonté. Reste à savoir si ces concertations ont un objectif purement communicationnel ou si elles visent réellement à approfondir une réflexion sur les SALA, car il semble qu’avec un programme déjà clairement défini et la pression de l’industrie de défense, les débats risquent d’être stériles.
Au final, le Canada devra se positionner entre l’idéalisme humanitaire sur lequel a été bâtie son image internationale, et son tropisme réaliste favorisé par le besoin de faire face à de nouvelles menaces et à des enjeux économiques conséquents. Sinon, le drone armé pourrait bien être le fossoyeur du Casque bleu canadien.
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