De quoi les familles ont-elles vraiment besoin au Québec?

Le Québec gagnerait à instaurer des mesures efficaces de conciliation travail-famille pour les femmes.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Le Québec gagnerait à instaurer des mesures efficaces de conciliation travail-famille pour les femmes.

Les familles sont un groupe d’électeurs particulièrement convoité pour la prochaine élection au Québec. À cet égard, la Coalition avenir Québec (CAQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ) se sont empressés, au cours des derniers jours, de marteler le message selon lequel ils voulaient, chacun d’une manière bien précise, proposer un gouvernement pour les familles. Pourtant, ni François Legault ni Philippe Couillard ne semblent vouloir offrir des solutions qui permettraient à la fois d’encourager les femmes à avoir des enfants et de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes.

La faible fécondité du Québec, et les solutions utopiques de la CAQ

 

Le constat de la CAQ s’avère tout à fait juste : le Québec affiche un taux de fécondité sous le seuil du remplacement de la population. Afin que la population se régénère, les femmes doivent en moyenne avoir 2,1 enfants. Or, en 2016, l’indice synthétique de fécondité (ISF) était de 1,59, en chute libre depuis 2008, alors qu’il atteignait 1,73. Pour pallier ce que la CAQ estime être un défi démographique, le parti laisse miroiter le recyclage de deux mesures de soutien aux familles, soit la remise en place d’un « bébé-bonus » similaire à celui introduit en 1988 et le rétablissement du programme de procréation assistée, aboli il y a deux ans.

Non seulement ces deux mesures n’auront pas d’effet à long terme sur la fécondité des femmes, mais elles illustrent toutes les deux une vision de la femme limitée à ses fonctions biologiques. Rappelons ici que le bébé-bonus de 1988 offrait aux femmes une allocation de 500 $ à la naissance de leurs deux premiers enfants, et de 3000 $ pour les enfants suivants. Ces montants furent bonifiés au fil des années jusqu’à l’abolition de cette mesure en 1997.

L’effet du bébé-bonus sur la fécondité des femmes à long terme fait encore aujourd’hui l’objet de débats, ici comme dans les autres pays développés qui ont déjà mis en place une telle mesure. Au mieux, un bébé-bonus aurait un effet temporaire sur la fécondité sans pour autant entraîner une hausse du nombre de naissances par femme au cours de leur vie. Autrement dit, les femmes auraient des grossesses plus rapprochées dans le but de bénéficier de la mesure, ce qui augmenterait artificiellement l’ISF annuel. À long terme, ces femmes n’auraient toutefois pas plus d’enfants.

En ce qui a trait à l’effet supposé du programme de procréation assistée sur la fécondité au Québec, il n’est tout simplement pas documenté. Ce programme, créé en 2010 par Jean Charest, n’a pas entraîné une hausse des naissances au Québec. Au contraire, l’ISF est passé de 1,73 en 2009 à 1,68 en 2011.

Le PLQ et les familles

 

Philippe Couillard n’a pas tardé à faire une levée de boucliers contre les solutions proposées par la CAQ. Selon les propos du premier ministre, « on n’a pas assez réalisé que, pour les familles du Québec, tout n’est pas une question d’argent. […] Les gens ont besoin d’une soupape de temps », évoquant la possibilité de donner davantage de congés payés aux travailleurs québécois. Une fois de plus, si le constat est intéressant, les mesures prises par le PLQ ces dernières années en matière de soutien aux familles n’ont rien de très rassurant.

D’abord, aucune réforme n’a été apportée, depuis 2006, au Régime québécois d’assurance parentale, lequel ne permet qu’aux travailleurs d’obtenir le soutien de l’État à la suite de l’arrivée d’un enfant. En d’autres termes, les mères au foyer ne reçoivent aucun soutien de l’État, si elles n’ont pas préalablement été actives sur le marché du travail. Ensuite, le PLQ a mené plusieurs attaques en règle contre les centres de la petite enfance (CPE), à la fois par l’entremise de compressions dans les services offerts et par la montée fulgurante du nombre de places en garderies privées dans l’ensemble du réseau. Si les parents ont besoin de temps, ils ont tout autant besoin de services de garde de qualité, où ils n’hésiteront pas à laisser leurs enfants. Or, le taux de satisfaction des parents utilisateurs des garderies privées est inférieur au taux de satisfaction des parents dont les enfants fréquentent un CPE.

Remèdes préconisés

 

Si les deux chefs semblent poser des diagnostics justes relativement à la faible fécondité, et aux besoins de temps et d’argent des familles, les remèdes proposés demeurent inadéquats. Des recherches à la fois menées au Québec et dans d’autres pays industrialisés ont démontré à plusieurs reprises que des mesures de conciliation travail-famille efficaces qui permettent de soulager les femmes d’une partie du travail de soins s’avèrent plus efficaces sur la fécondité que les mesures natalistes. En termes plus simples, si on souhaite réellement augmenter la fécondité au Québec, on doit permettre aux femmes de continuer à travailler. Plus les femmes ont la possibilité de relayer une partie du travail de soins à leur conjoint ou à un service de garde, moins elles hésitent à faire des enfants.

Ces conclusions sont assez encourageantes, car elles démontrent qu’il est possible, pour les femmes d’avoir des enfants sans être reléguées au rôle de mère pérenne. Or, afin de permettre aux familles, et aux femmes plus particulièrement, de réaliser leurs intentions de fécondité sans toutefois sacrifier leurs ambitions professionnelles, on doit offrir des services de garde de qualité — ce qui signifie au Québec dans les CPE —, des congés généreux, et qui ne sont pas systématiquement liés au marché du travail, et une bonification du congé de paternité, qui permet aux femmes de transférer une partie du travail de soins vers leur conjoint. Ni la CAQ ni le PLQ ne semblent disposés à offrir de telles mesures pour l’instant.

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