Et si l’UPAC avait raison?

«Rien ne justifie le discrédit que certains voudraient voir s’abattre sur l’UPAC», estime Réal Ménard. Sur la photo, on aperçoit Robert Lafrenière, commissaire de l’UPAC.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «Rien ne justifie le discrédit que certains voudraient voir s’abattre sur l’UPAC», estime Réal Ménard. Sur la photo, on aperçoit Robert Lafrenière, commissaire de l’UPAC.

Depuis quelques semaines, des voix nombreuses se sont élevées pour critiquer le travail de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’affaire Guy Ouellette ».

Ces critiques me semblent injustifiées à plusieurs égards. D’abord, je propose de distinguer le privilège parlementaire de Guy Ouellette et la façon dont l’UPAC s’acquitte de son mandat. Je conviens, à titre d’ex-parlementaire, qu’il aurait été souhaitable que le commissaire de l’UPAC informe le président de l’Assemblée nationale de l’arrestation d’un de ses membres, ne serait-ce que par respect pour l’étanchéité qui doit exister entre le judiciaire et le législatif dans une société démocratique.

Mon malaise réside dans le fait que plusieurs journalistes, chroniqueurs, élus et citoyens ont pris prétexte de l’arrestation du député Guy Ouellette pour faire le procès de l’UPAC, sans égard à son bilan et à sa pertinence pour l’avenir.

Il faut se rappeler qu’en 2011, lorsque l’UPAC est mise sur pied, la morosité est grande au sein de nos institutions démocratiques, tant les liens qui existent entre l’industrie de la construction, la collusion d’un groupe d’entrepreneurs et le dysfonctionnement des processus d’appels d’offres apparaissaient inextricables.

Qui plus est, le financement des partis politiques québécois était considérablement contaminé par les grandes firmes de génie-conseil, lesquelles mettaient à rude épreuve l’idéal de militantisme et l’héritage démocratique de Georges-Émile Lapalme, Jean Lesage et René Lévesque.

Pour mémoire, Radio-Canada avait diffusé une première compilation en septembre 2011 des contributions politiques des firmes de génie-conseil. On y apprenait que de 2001 à 2010, SNC, Dessau, Genivar, BPR et CIMA+ avaient versé 5 millions de dollars aux différentes formations politiques, dont 62 % de ce montant au PLQ, 34 % au PQ et 4,2 % à L’ADQ.

Bilan

 

Rien ne justifie le discrédit que certains voudraient voir s’abattre sur l’UPAC, qui est une institution résiliente qui a bien servi la société québécoise.

L’UPAC a un parcours sans fautes, contrairement au SPVM où le directeur Pichet a relevé de ses fonctions son bras droit, Imad Sawaya, ou encore la SQ, qui est en plein procès impliquant un ancien directeur général, Richard Deschênes.

Le bilan de l’UPAC est plus qu’honorable avec l’arrestation d’au moins 155 personnes dans le cadre d’enquêtes d’envergure, tels les projets Honorer, Fronde, Joung et Lierre qui ont permis de démanteler des réseaux importants de criminalité où sévissaient la fraude, la corruption, l’abus de confiance et l’usage de faux documents.

J’ai peine à penser que les Québécois n’ont pas été reconnaissants à l’endroit du travail de l’UPAC, lorsque les Michael Applebaum, Frank Zampino, Bernard Trépanier, Marc Yvan Côté, Nathalie Normandeau et plusieurs autres ont été arrêtés, et dans certains cas condamnés.

Le législateur, lorsqu’il a adopté le projet de loi 15 concernant la lutte contre la corruption en 2011, a balisé le mandat et l’autonomie de l’Unité permanente anticorruption. Le mandat du commissaire était d’assurer la coordination des actions de prévention de lutte contre la corruption en matière contractuelle dans le secteur public.

Il importe de garder à l’esprit que toute enquête déclenchée par l’UPAC doit démontrer des indices de corruption, la présence d’un contrat public et un individu ou une organisation qui y sont liés. Également, le commissaire doit informer le directeur des poursuites criminelles et pénales dès le commencement d’une enquête pénale ou criminelle et, le cas échéant, requérir les conseils de ce dernier.

Lenteur

 

Certaines personnes ont reproché à l’UPAC sa lenteur à porter des accusations contre le grand argentier du Parti libéral ou d’autres éminences grises de ce parti. Une partie de la réponse, me semble-t-il, se trouve dans la nature même du mandat de l’UPAC.

De plus, il n’appartient pas aux parlementaires de déterminer la longueur des enquêtes. Les enquêtes concernant la criminalité de réseaux sont longues et exigeantes. Rappelons-nous que les enquêtes Colisée, SharQc et Printemps 2001 ont duré quatre ans, avec comme résultat l’arrestation du chef de la mafia montréalaise Nick Rizzuto et la quasi-disparition des Hells Angels.

Cependant, les choses pourraient changer puisque l’adoption éventuelle du projet de loi 107 permettrait d’élargir la mission de l’UPAC à tous les cas de corruption dans l’administration de la justice et dans l’octroi des droits et privilèges, telles une autorisation, une nomination ou une subvention.

Certains témoins, lors des audiences de la commission Charbonneau, ont prétendu à tort ou à raison que Marc Bibeau avait un rôle à jouer dans les nominations gouvernementales au sein des grandes sociétés d’État québécoises. Voilà un nouveau gisement d’enquêtes qui pourrait s’ouvrir pour l’UPAC dans les prochains mois.

J’ai beaucoup de respect pour Guy Ouellette. Lorsque j’étais jeune député à la Chambre des communes, celui-ci a été pour moi un véritable mentor et il m’a initié aux rudiments du crime organisé. Incontestablement, Guy Ouellette a joué un rôle déterminant dans la lutte contre le gangstérisme.

Je m’explique mal cependant en quoi le projet de loi 107, qui revisite les pouvoirs de l’UPAC en élargissant sa mission, va la rendre moins responsable et moins efficace. Le commissaire est toujours contraignable comme témoin devant l’Assemblée nationale et a toujours l’obligation, sur une base régulière et au moins deux fois par année, de communiquer au public l’état de ses activités selon l’article 22 de la loi.

En toute amitié, je crois que Guy Ouellette a failli, alors qu’il était sous l’immunité parlementaire de répondre à certaines questions essentielles pour une bonne compréhension de ce débat. M. Ouellette, que je tiens pour innocent jusqu’à preuve du contraire, n’a pu expliquer clairement la nature du coup monté dont il était l’objet, les éléments d’intimidation que l’UPAC lui faisait subir, et les preuves d’irrégularités alléguées entre l’UPAC, l’Autorité des marchés financiers et certaines firmes privées.

Soyons fiers comme Québécois du travail effectué par l’Unité permanente de l’anticorruption, non seulement par la singularité de cette institution, mais aussi par l’excellence du travail accompli.

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