L’insoutenable contradiction propre aux religions

La discussion sur les accommodements religieux se heurte toujours à la nature des religions. Elle peut être analysée selon différents niveaux. Au premier plan, on trouve un idéal spirituel, qui varie selon chaque religion. Après la vie, monter au ciel et rencontrer Dieu pour les religions monothéistes, se réincarner dans une meilleure vie ou se réaliser dans les religions qui n’ont pas de Dieu (bouddhisme) ou qui en ont des millions (hindouisme), on a là des exemples qui illustrent la très grande variété de l’idéal spirituel.
Ensuite, toutes les religions proposent une série de règles qui permettent l’atteinte de cet idéal spirituel. Prier, méditer, mener une bonne vie, avec des règles qui sont généralement calquées sur les besoins de la vie en société, ne pas tuer, ne pas convoiter les biens des autres, aimer son prochain ou lui rendre ses mauvais coups, et ainsi de suite. Jusque-là, ces approches ne comportent aucune contradiction, dans la mesure où elles sont liées à un modèle spirituel. Les religions, par leur recherche spirituelle et le respect de ces règles, offrent un réconfort à ceux qui les pratiquent, en ce qu’elles peuvent permettre de réduire la peur face à l’Inconnu.
Au troisième plan, les religions proposent d’autres règles qui visent essentiellement à contrôler la société, avec une perspective très temporelle calquée sur les traditions ethnologiques de la société d’où proviennent le prophète ou les textes de référence s’il y en a. Ainsi, le judaïsme est basé sur le concept d’un peuple choisi par Dieu, ce qui limite le prosélytisme ; le christianisme est basé sur les idées d’un prophète juif dont les idées déviaient de la religion juive, mais dont les évangiles ont été écrits par des Européens ; l’islam est basé sur les idées d’un prophète arabe, influencé par les autres religions monothéistes ; le bouddhisme par un prophète indien en rupture avec l’hindouisme dominant. Les religions animistes sont directement liées aux phénomènes naturels incompris et en conséquence perçus comme divins.
Les religions comportent donc une dimension culturelle marquée géographiquement, historiquement et ethnologiquement, basée sur des règles de maintien du groupe et de dénigrement des groupes concurrents. La haine des catholiques envers les hérétiques albigeois, des protestants envers les catholiques, des sunnites envers les chiites, des hindous envers les bouddhistes, la haine entre chrétiens et musulmans ou celle envers les bahaïs illustrent comment les religions comme organisations humaines ont protégé leurs parts de marché, l’idéal spirituel semblant lointain dans ces combats. Il peut paraître scandaleux de décrire des organisations religieuses avec des termes de gestion, mais l’émergence des religions protestantes dans le sud des États-Unis et en Amérique latine est directement liée à l’initiative mercantile de ses pasteurs. Jadis, à Atlanta, lors d’une rencontre avec un centre d’initiative économique, la responsable racontait comment on pouvait se lancer en affaires en donnant l’exemple d’une église. « Si vous voulez démarrer votre église, il faut faire du marketing pour attirer les fidèles, des finances pour avoir leur argent et gérer le bâtiment, c’est une business ! »
Tout notre dilemme comme société vient de ce que nous voulons respecter les religions alors que la nature de ces dernières, dans sa dimension humaine et non spirituelle, n’est pas naturellement de respecter les autres religions. De plus, les aspects traditionnels de la société, comme la domination des hommes sur les femmes, typique de presque toutes les sociétés d’autrefois, sont un marqueur dominant des religions qui ne sont pas du tout modernes à cet égard. L’Église chrétienne a aboli la prêtrise des femmes au IVe siècle et n’arrive toujours pas à corriger son erreur. Le voile des femmes ainsi que les vêtements qu’on leur impose n’ont pas d’équivalent chez les hommes, qui ne s’habillent plus comme au Xe siècle, époque où en Occident les femmes devaient elles aussi toujours porter un voile. Les financements saoudiens de l’islam correspondent plus à un maintien de modèles moyenâgeux de comportements qu’à un idéal spirituel qui n’a rien à voir avec des symboles vestimentaires.
Il est fondamental de respecter la dimension spirituelle des gens qui pratiquent des religions, tout comme celle des athées, mais comment pourrions-nous accepter leurs écarts liés à des valeurs sociales archaïques ? Le fait de confondre ces deux dimensions comporte une contradiction difficilement soluble, tant que l’on confondra la spiritualité et les règles de contrôle social qui sont bien humaines et pas du tout spirituelles. Il est clair cependant que les tenants de ces modèles de comportements croient sincèrement que leur religion est un tout, où spiritualité et archaïsme se confondent. Nous posons la question : la poursuite de règles de comportements contraires aux règles de la société d’accueil est-elle acceptable au nom du droit à pratiquer une religion quand certaines dimensions d’identité à des valeurs moyenâgeuses non spirituelles y sont incompatibles ? Il est clair que les extrémistes musulmans (talibans ou groupe État islamique) ne semblent pas intéressés par la spiritualité, mais bien par un contrôle social moyenâgeux sur la société. Le respect des religions n’a pas grand-chose à faire avec ces considérations passéistes.