Les activités troublantes des minières canadiennes au Mexique

Les autochtones veulent que le gouvernement Trudeau impose aux compagnies canadiennes à l’étranger un code de conduite qui respecte le territoire, le mode de vie et les activités économiques des peuples autochtones, soulignent les auteurs. 
Photo: Pedro Pardo Agence France-Presse Les autochtones veulent que le gouvernement Trudeau impose aux compagnies canadiennes à l’étranger un code de conduite qui respecte le territoire, le mode de vie et les activités économiques des peuples autochtones, soulignent les auteurs. 

Lettre ouverte à Justin Trudeau, premier ministre du Canada

La presse écrite et électronique a fait état de votre récent voyage au Mexique, qui vise un rapprochement entre nos deux pays. Nous exprimons cependant de sérieuses réserves concernant une dimension très importante des relations économiques canado-mexicaines : les activités que réalisent au Mexique les entreprises minières canadiennes.

Lors du Colloque international Luttes autochtones pour le territoire : Amérique latine et Québec, qui s’est tenu à l’UQAM les 12 et 13 octobre derniers, des témoignages troublants d’autochtones du Mexique et d’autres pays sont venus révéler les agissements inacceptables de nombreuses entreprises minières canadiennes, qui violent impunément les droits des personnes et des communautés autochtones avec la connivence des autorités locales qu’elles soudoient et le silence complice du gouvernement canadien qui a été alerté depuis longtemps.

Dans la municipalité d’Ixtacamaxtitlán, dans la Sierra Nororiental de Puebla, l’entreprise Almaden Minerals a réalisé des centaines de forages en faisant fi de la loi mexicaine qui oblige à une consultation « préalable, libre et informée » de la population autochtone, en accord avec la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail, que le Mexique a ratifiée. Même si ce projet en est encore à la phase d’exploration, des témoignages, lors du colloque, ont révélé que les forages effectués à ce jour ont déjà provoqué une dégradation, en quantité et en qualité, de l’approvisionnement en eau des communautés.

Inquiets pour leur avenir, les cultivateurs nahuas et métis se sont renseignés sur d’autres mines à ciel ouvert qui appartiennent à des entreprises canadiennes au Mexique — comme plus de 60 % des mines du pays. Ils se sont alors rendu compte qu’à la dévastation environnementale s’ajoute la répression directe : le 27 novembre 2009, Mariano Abarca Roblero, qui dirigeait le mouvement d’opposition à la mine Black Fire, était abattu à Chicomuselo, au Chiapas. Un autre dirigeant d’opposition aux entreprises minières, Ismael Solorio Urrutia, ainsi que son épouse, Manuela Sólis Contreras, ont connu le même sort au Chihuahua, pour s’être opposés à l’installation de la mine Cascabel, propriété de Mag Silver.

Fermeture de la mine

 

Le cas de l’entreprise New Gold – Minera San Xavier, à San Luis Potosí, illustre à quel point les entreprises canadiennes au Mexique se moquent des lois du pays d’accueil, avec la double complicité des autorités locales et de l’État canadien. En 2009, les autorités judiciaires décrétaient la fermeture de la mine, qui était exploitée illégalement depuis 2005. C’est alors que l’ambassadeur canadien au Mexique, Guillermo Ryschinski — qui comme bien d’autres confond ses fonctions diplomatiques avec celles d’un lobbyiste pour les entreprises minières —, décida de jouer le grand jeu. La visite de la gouverneure générale Michaëlle Jean, tout sourire, accapara les manchettes… pendant qu’un juge mexicain, en douce, révoquait la fermeture de la mine.

Vous étiez alors, Monsieur le Premier Ministre, dans l’opposition libérale. Et lorsque le militant Enrique Rivera — menacé de mort, il s’était exilé au Canada — vous informa directement de la situation de la Minera San Xavier, vous avez répondu : « Même si nous présentions des projets de loi contre ce genre d’entreprise, ça ne changerait rien. Il faut un gouvernement prêt à intervenir ! » Or vous dirigez le gouvernement depuis deux ans et vous n’intervenez pas.

Les Mexicains — assez nombreux — qui croyaient que les choses changeraient sous votre leadership sont amèrement déçus : après deux ans au pouvoir, vous vous comportez exactement, dans ce domaine, comme vos prédécesseurs conservateurs. C’est pourquoi les autochtones du Mexique et d’ailleurs, présents au colloque, croient que c’est chez eux, sur leurs territoires ancestraux, que la lutte va se gagner. Ainsi, les paysans de la communauté de Tecoltemic ont obtenu une injonction contre l’entreprise canadienne Almaden Minerals… qui n’en a pas moins continué d’étendre ses forages. Ils ont alors bloqué la route d’accès qu’employait sans permission l’entreprise.

Lors de ce colloque, les autochtones du Chili, de l’Équateur, du Panama, du Guatemala et du Mexique, venus faire entendre leurs voix en tant que sujets directement touchés par l’activité des entreprises minières canadiennes à l’étranger, ont été surpris d’entendre des Cris de la nation de Wemindji dénoncer le non-respect de leur mode de vie, de leur droit à la santé, et la pollution environnementale provoquée par les activités d’une compagnie minière — Goldcorp — en territoire canadien. Par ailleurs, d’autres Cris ont exprimé le point de vue que leur accord de collaboration avec Goldcorp, si on en respecte l’esprit autant que la lettre, pourrait être la base d’une relation avantageuse pour les deux parties.

Qu’attendent les autochtones du gouvernement canadien ? Qu’il leur donne les moyens légaux pour dénoncer ici, où sont enregistrées ces entreprises, les violations de leurs droits individuels et collectifs par les transnationales canadiennes. Ils veulent obtenir des compensations justes pour les dommages causés. Et ils veulent surtout que le gouvernement impose aux compagnies canadiennes à l’étranger un code de conduite qui respecte le territoire, le mode de vie et les activités économiques des peuples autochtones. Depuis des années on parle de la création d’un poste d’ombudsman indépendant pour le secteur extractif. Le député John McKay en avait annoncé la mise en place pour mars dernier… et rien n’a encore bougé.

Et, de grâce, ne nommez pas une autre commission royale d’enquête pour s’occuper de la question… qui rendrait son rapport juste à la fin de votre mandat ! Il faut agir maintenant !

* Cette lettre est signée par: 
Pierre Beaucage,  professeur émérite, Département d’anthropologie, Université de Montréal, membre du Groupe de recherche sur les espaces publics et les innovations démocratiques (GREPIP);
Colin Scott, professeur agrégé, directeur du Centre pour la conservation et le développement autochtone alternatif (CICADA), Université McGill;
Daviken Studnicki-Gizbert, professeur agrégé, Département d’histoire, Université McGill;
Marie-Ève Marleau, coordonnatrice du Centre pour les droits humains en Amérique latine;
Karine Vanthuyne, professeure agrégée, directrice du Groupe de recherche sur les territoires de l’extractivisme, Université d’Ottawa;
Nancy Thede, spécialiste de l’Amérique latine, membre du Groupe de recherche sur les espaces publics et les innovations démocratiques (GREPIP);
Martin Hébert, professeur titulaire, Département d’anthropologie, Université Laval, Québec, membre du Centre interuniversitaire d’études et de recherche autochtone (CIÉRA);
Éric Léonard, chercheur, Institut de recherche pour le développement – IRD (France);
Jacques Galinier, professeur, Maison des Sciences de l’Homme, Paris;
Paul Cliche, enseignant, Faculté d'éducation permanente, Université de Montréal;
Pierre Trudel, chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Montréal;
Anahi Morales, professeure, Université Saint Paul, Ottawa;
Nuria Carton de Grammont, enseignante, Université Concordia;
Marie-Josée Massicotte, professeure agrégée, Université d’Ottawa;
Viviane Weitzner, doctorante en anthropologie, CIESAS (Mexico);
Adriana Pozos, doctorante en Science politique, Université du Québec à Montréal, et membre du Groupe de recherche sur les espaces publics et les innovations démocratiques (GREPIP);
Marie-Dominik Langlois, doctorante en sociologie, Université d’Ottawa;
Ximena Cuadra Montoya, doctorante en science politique, Université du Québec à Montréal;
Sylvain Guilmain, enseignant, CEGEP du Vieux Montréal;
Aldegundo González Álvarez, Cooperativa Yeknemilis, Cuetzalan, Mx (participant au colloque);
Marie Paradis, participante au colloque, Montréal;
Amélie Nguyen, (Centre international de solidarité ouvrière), Montréal;
Madeleine Desnoyers, participante au colloque, Montréal;
Geneviève Lessard, Université d’Ottawa;
Denis Langlois, Université d’Ottawa;
Sophie Bissonnette, cinéaste, Montréal;
Danièle Lacourse, cinéaste, Montréal;
Gerardo Aiquel, ancien coordonnateur du QUISETAL;
Élizabeth Robinson, Département de santé publique (Québec) pour la Baie James;
Molly Kane, coordonnatrice de l’Entraide missionnaire (Montréal);
Gérald McKenzie, Percé;
Paul Beaucage, écrivain;
Marielle Pepin Lehalleur, anthropologue à la retraite (CNRS);
Lorraine Guay, infirmière retraitée, Montréal;
Pierre Bonin, géographe à la retraite;
Micheline Caron, Montréal;
Claire Lapointe, Montréal;
Maryse Pèlerin, Montréal;
Denis Tougas, membre du comité consultatif d’Above Ground (Montréal);
Profil Optimonde, CEGEP du Vieux Montréal;
CDHAL (Centre pour les droits humains en Amérique latine);
CISO (Centre international de solidarité ouvrière), Montréal;
L’Entraide missionnaire, Montréal;
MICLA (McGill Research Group on Mining in Latin America), Montréal

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