Oui, le changement est encore possible

« Mais si l’étapisme ne consiste qu’à abandonner notre idée par étapes, alors qu’on ait le courage de nous le dire », affirmait Pierre Bourgault dans les pages du Devoir peu de temps après le référendum de 1980, dénonçant avec son mordant habituel « une souveraineté qui a honte d’elle-même ».
Près de quatre décennies ont passé et avec elles les rêves de liberté du peuple québécois ont été réduits à ceux d’une génération. Face aux revers et aux lendemains difficiles, le beau risque, la gouvernance souverainiste et, aujourd’hui, un « ostie de bon gouvernement » ont servi à maquiller élégamment la mise au rancart d’une option en perte de repères. Des centaines de milliers de Québécoises et de Québécois ne connaissent du mouvement souverainiste que ses atermoiements ; bon nombre ne se reconnaissent pas dans le retour au nationalisme conservateur.
Seul Jacques Parizeau, arpentant ce qu’il appelait un « champ de ruines », a eu le courage de nous mettre en garde : si rien n’est fait, le mouvement indépendantiste sera incapable de garder prise sur le Québec d’aujourd’hui, encore moins d’arriver à bon port.
Ce diagnostic a mené nos formations politiques respectives à entamer un dialogue qui aboutit à une entente de principe historique, réunissant deux partis indépendantistes pour la première fois depuis 1968. Québec solidaire et Option nationale proposent à leurs membres de joindre leurs forces pour constituer plus que la somme de ses parties, de ses énergies, de son électorat. Nous souhaitons poser la première pierre de la refondation du mouvement indépendantiste et donner un coup de barre dans le paysage politique québécois dès les élections générales de 2018.
Réconcilier nos familles politiques
Le processus mis en marche aujourd’hui pourrait déboucher sur la réconciliation de nos familles politiques respectives. Nos mouvements ont des histoires différentes, souvent convergentes, parfois divergentes, et cette fusion permettrait d’entretenir la pluralité au sein d’un seul grand parti unifié. Une réconciliation en amène d’autres : notre mouvement doit construire des ponts entre les jeunes et les personnes aînées, Montréal et le reste du Québec, les « de souche » et celles et ceux qui revendiquent, contre vents et marées, le droit d’être pleinement Québécoises et Québécois. Par-dessus tout, la réconciliation avec les Premières Nations habitant le territoire québécois doit dépasser l’exercice de relations publiques et mener à un nouveau rapport de Nation à Nations.
Nos référents ne sont pas référendaires. Indépendantistes convaincus, nous n’avons pas pour autant vécu le rendez-vous manqué de 1980 et celui, volé, de 1995. Certaines choses ne changeront jamais : les clés du 24 Sussex Drive sont détenues par un homme qui s’incline devant les pétrolières, l’Arabie saoudite et Netflix tout en se montrant incapable d’affronter la question du statut du Québec au sein du régime canadien, incapable de lever le petit doigt pour réformer le mode de scrutin uninominal à un tour, cet anachronisme tiré du chapelet colonial britannique. Malgré la primauté de notre démocratie sur une constitution canadienne illégitime, il continue d’imposer sa loi sur Québec.
D’autres choses ont changé. Il est impensable, en 2017, d’envisager la souveraineté du Québec sans revendiquer le plein exercice des leviers de l’État pour lutter contre l’exploitation délétère de nos sols et forêts. Alors que certains aimeraient bien claquer les portes du Québec au nez des réfugiés, nous préférons colmater les frontières qui laissent s’échapper les fruits de notre labeur vers les paradis fiscaux. La pleine souveraineté du peuple québécois dépend aussi de notre souveraineté économique, énergétique et alimentaire dans un monde piégé par une mondialisation débridée.
Changer d’approche
Sans jamais renier les luttes d’affirmation nationale du passé, il est temps de changer d’approche. Les querelles tactiques des derniers mois ont fait oublier la véritable raison d’être de notre mouvement : dépasser les retouches cosmétiques que nous proposent les vieux partis à l’Assemblée nationale. Au-delà des frontières du Québec, un véritable renouveau politique s’opère sous l’égide des campagnes de Bernie Sanders et de Jean-Luc Mélenchon, qui ont fait mentir tous les pronostics, y compris le fameux absentéisme électoral des jeunes en misant sur une formule toute simple. Oui, le changement est encore possible.
Nous faisons le pari de redonner aux Québécoises et aux Québécois le goût de rêver à des lendemains meilleurs et l’ambition de les construire ensemble dans le cadre d’une démarche rassembleuse : l’Assemblée constituante. En convoquant une assemblée démocratique et plurielle pour rédiger la constitution d’un pays du Québec, nous ne laisserons personne de côté. Et avant de se rendre aux urnes pour avaliser la naissance d’un 194e membre de la grande famille des nations, le peuple québécois aura déjà constitué les contours de son avenir.
La voie que nous prenons est parsemée d’embûches. Après tout, les ennemis du bien commun occupent souvent les plus hauts offices, comme l’a appris le peuple catalan dans les rues de Barcelone il y a seulement quelques jours. Mais comme les Catalans, comme les Écossais, comme les Kurdes, nous ne sommes pas seuls. Alors que nous apprenons à nouveau à nous parler, nous pouvons espérer beaucoup.